Gérer un patrimoine d’exception
________________________________________
Le musée Marmottan Monet connaîtra bientôt d’importants travaux de rénovation, qui lui permettront d’améliorer les conditions d’accueil des visiteurs et de présentation des œuvres, puisqu’il s’agrandira de plus de mille mètres carrés. Entre expositions et chantiers, son directeur Érik Desmazières évoque ces ambitieux projets.
Des travaux et des œuvres
Entretien avec Érik Desmazières, membre de la section de gravure et dessin de l’Académie des beaux-arts, directeur du musée Marmottan Monet
Propos recueillis par Nadine Eghels
Nadine Eghels : Voici trois ans et demi que vous êtes en charge du musée Marmottan Monet. Quels ont été les grands axes de votre action, et comment ce musée poursuit-il son évolution tant au niveau de la conservation, des expositions que des bâtiments ?
Érik Desmazières : L’été 2023, sans fermer le musée nous avons fait un certain nombre de travaux : suite à un audit général de la sécurité sur le site, et sous la supervision de mon adjointe Véronique Pelloie, nous avons déplacé le PC sécurité, ce qui nous a permis de gagner de la place au rez-de chaussée et nous avons rénové les deux pièces de l’entrée, créé un vestiaire, gagné en confort pour les caisses et en fluidité pour l’accueil et la circulation des visiteurs. Ces travaux ont été conduits par Anne Sazerat, architecte dont l’agence avait totalement rénové il y a quelques années le musée de la Chasse et de la Nature. Nous avons été bien inspirés de réaliser ces aménagements l’été dernier car l’exposition « Berthe Morisot et l’art du XVIIIe » réalisée en collaboration avec la Dulwich Picture Gallery de Londres a connu un très grand succès et généré une très forte affluence. En 2023 nous avons approché la fréquentation d’avant la pandémie, à savoir 270 000 visiteurs pour l’année.
N.E. : Comment se construit votre programmation ?
É.D. : Comme pour l’opéra et comme pour les expositions en général, en s’y prenant très en amont ! Néanmoins, après l’exposition « Face au soleil » qui s’est terminée en janvier 2023, nous avons eu l’exposition consacré aux « Néo-romantiques », sous le commissariat de Patrick Mauriès, puis une exposition consacrée aux estampes de la collection William Cuendet conservée au musée Jenisch de Vevey et intitulée « Graver la lumière », un magnifique ensemble de gravures de Dürer à Picasso, exposition dont le commissaire était Florian Rodari et pour laquelle nous avons réutilisé en la modifiant a minima la scénographie des Néo-romantiques. Cette exposition a rencontré son public et par un heureux hasard elle avait lieu en même temps que deux autres événements consacrés à la gravure l’été dernier : « Degas en noir et blanc » à la BnF et « Trésors en noir et blanc » de la collection Dutuit au Petit Palais. Nous aurons eu ainsi trois expositions dans l’année, au lieu des deux habituelles.
Il faut aussi mentionner les expositions hors les murs : celle qui s’est tenue, jusqu’au 25 février, au Centro Centro à Madrid une grande exposition de plus de cinquante œuvres de nos collections intitulée « Monet, chefs d’œuvre du musée Marmottan Monet ». L’exposition est maintenant au Centro Culturale Altinate San Gaetano de Padoue jusqu’au 14 juillet 2024. Ensuite, à l’automne, une importante partie de la collection Monet partira pour le Japon en vertu d’un partenariat établi avec le groupe NTV pour trois étapes ; une première au Musée d’art occidental de Tokyo, une deuxième à Kyoto et une troisième à Toyota.
Enfin nous participons à l’exposition du musée d’Orsay « Paris 1874, inventer l’impressionnisme » qui célèbre le cent-cinquantième anniversaire de la première exposition du groupe impressionniste (1874) en consentant le prêt exceptionnel du tableau Impression, soleil levant qui figurait dans cette exposition et qui est entré dans nos collections en 1940. L’exposition du musée d’Orsay ira ensuite à la National Gallery de Washington et le chef-d’œuvre de Monet sera à cette occasion exposé pour la première fois aux Etats-Unis.
N.E. : Et pour la suite ?
É.D. : Nous préparons une exposition sur le sport ! En fait, c’est une idée ancienne. Il y a quelques années, un numéro de la Lettre de l’Académie de l’Académie des beaux-arts avait été consacré à ce thème. A ce moment je n’imaginais pas diriger un jour un musée, mais je m’étais dit que ce serait un formidable sujet d’exposition qui se trouve être aujourd’hui pleinement d’actualité ! Notre exposition est centrée sur les années 1870-1930, }
c’est-à-dire la période impressionniste et post-impressionniste C’est l’époque où le sport s’est vraiment démocratisé, avec un vrai basculement sociologique en ce qui concerne sa pratique. Le commissaire, Bertrand Tillier, professeur des universités, insiste beaucoup sur cet aspect. Nous aurons de très beaux prêts de grands musées européens et américains et de collections particulières. Ce sera une exposition très riche, plus de 200 œuvres, peintures, gravures, dessins, sculptures, photographies, affiches avec des œuvres de Daumier, Degas, Caillebotte, Signac, Eakins, Bellows, et bien d’autres… Elle se déploiera sur deux niveaux et occupera également la salle des « Dialogues inattendus » habituellement dévolue à l’art contemporain. Elle durera jusqu’au 1er septembre. L’exposition suivante, à l’automne 2024, sera consacrée au trompe-l’œil de 1500 à nos jours, sous le commissariat de Sylvie Carlier, nouvelle directrice des collections qui a rejoint l’équipe du musée en avril 2023.
N.E. : Qu’en est-il de ces dialogues ?
É.D. : Ces « Dialogues inattendus » ont été institués par mon prédécesseur et confrère Patrick de Carolis. Il s’agit de faire dialoguer un artiste contemporain avec une œuvre du musée. Vous aurez remarqué que c’est dans l’air du temps d’instiller de l’art contemporain dans les musées historiques. Dans cette salle qui se trouve au niveau de la salle Carlu créée pour recevoir la donation Michel Monet, nous avons donc accueilli un certain nombre d’artistes, sept au total, venus de différents pays. Nous accueillons actuellement Anne Laure Sacriste, une artiste proche de l’arte povera, qui a choisi de dialoguer avec le fameux portrait de Berthe Morisot par Manet. Ensuite nous aurons la proposition de Carole Benzaken qui va déborder un peu de la salle des dialogues et intervenir aussi à d’autres endroits dans le musée notamment dans la salle des enluminures de la donation Wildenstein et dans la rotonde du premier étage où se trouve le bureau de Paul Marmottan et la collection de portraits par Louis Boilly. Ces dialogues sont une très belle initiative, ils ont été l’occasion – et j’espère qu’ils le resteront dans le futur – de rencontres artistiques parfois surprenantes mais toujours stimulantes.
N.E. : Et pour la suite ?
É.D. : Un autre projet est de faire une exposition en collaboration avec le musée de l’Orangerie, car il y a dans la donation Michel Monet les études préparatoires à la réalisation des Nymphéas là-bas. Nous célèbrerons aussi l’année 2026 avec une exposition qui montrera l’évolution du paysage depuis Monet jusqu’à aujourd’hui, dont le commissariat sera confié à Pierre Wat.
N.E. : Il y a aussi de grands travaux à venir.
É.D. : De très importants travaux qui débuteront en 2027. Nous allons agrandir le musée de 1000 mètres carrés, repenser le parcours muséographique, faciliter l’accès aux étages pour les personnes à mobilité réduite, créer un espace de restauration, procéder au ravalement du bâtiment, agrandir les réserves, réhabiliter le jardin qui est pour le moment dans un état indigne, etc. C’est un projet assez ancien que nous allons enfin concrétiser. Cette réhabilitation concernera également le beau pavillon situé dans le jardin qui est un espace muséal à l’abandon, et auquel nous allons rendre sa beauté initiale. Les travaux auraient dû commencer en 2025, mais il paraît logique que le musée reste ouvert en 2026, année qui sera celle du centenaire de la mort de Claude Monet. Les travaux débuteront donc au début de l’année 2027. Une consultation a été entreprise, trois équipes d’architectes ont été sélectionnées, elles doivent rendre une esquisse ce printemps et le choix final interviendra fin 2024.
N.E. : Pendant les travaux, où iront les œuvres ?
É.D. : Les travaux qui s’annoncent nécessiteront en effet de vider entièrement le musée de son contenu. Ce sera l’occasion d’entreprendre un chantier des collections, de procéder à d’indispensables restaurations. À propos de restaurations d’œuvres, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse : il faut mentionner la restauration en cours de trois très beaux tableaux germaniques de la collection de Jules Marmottan, une restauration dont le coût est pris en charge par la dynamique Association des Amis du Musée Marmottan, dirigée depuis sa création par Nicole Salinger et qui apporte une aide précieuse à nos projets.
La fermeture du musée permettra donc de mener un audit de l’état des œuvres, de « sanctuariser » les plus fragiles d’entre elles qui ne voyageront plus, d’entreprendre la restauration de celles qui en auront besoin. Il est aussi parfaitement envisageable d’entreposer une partie de la collection de Paul Marmottan dans sa Bibliothèque à Boulogne-Billancourt. Cette institution (voir page 52) est désormais directement gérée par l’Académie et dirigée par mon confrère Adrien Goetz. Actuellement en cours de restauration, elle rouvrira avant que ne débutent les travaux au musée. Le musée et la Bibliothèque ont, cela va de soi, vocation à se rapprocher le plus possible.
Toutes les précautions nécessaires ayant été prises, les œuvres pourront être prêtées à diverses institutions muséales et nous profiterons de cette fermeture pour poursuivre notre politique de rayonnement à l’international.
Je veux conclure en rendant hommage au travail des équipes du musée car cette intense activité à la fois sur le site du musée où les expositions temporaires génèrent une très forte affluence et à l’extérieur où les mouvements d’œuvres sont fréquents et délicats, sans parler de la préparation des publications en lien avec ces différentes manifestations, représente énormément d’efforts pour les équipes de la conservation mais aussi pour les agents d’accueil – je rappelle que nous sommes toujours sous le régime Vigipirate et qu’une extrême vigilance est de mise – et aussi celles et ceux qui s’occupent de la médiation sans oublier la boutique soumise à une activité toujours soutenue ! Je suis très reconnaissant devant la qualité du travail accompli à tous les niveaux, administratif aussi, et cette implication me rend très optimiste pour l’avenir. ■