Lascaux IV

Par Bernard Perrine, correspondant de l’Académie des beaux-arts.

Dans Mémoires (1), Yves Coppens revient sur “l'éblouissement” que lui a procuré la découverte de la grotte de Lascaux. Un éblouissement, strictement préservé par Muriel Mauriac, conservatrice d'une grotte qu'il est devenu impossible de visiter sous peine de destruction. Sa fermeture en avril 1963 par André Malraux a donné naissance à l'idée de conservation préventive et à une série de répliques fixes ou itinérantes rendues de plus en plus fidèles grâce aux avancées technologiques récentes. Lascaux I en 1970 avec des fac-similés partiels de Lascaux II (1983, salle des taureaux et le Diverticule axial). Le fac-similé nomade Lascaux III, conçu pour être transporté, a inauguré le 13 octobre 2012 une tournée mondiale qui l'a mené de Bordeaux à Chicago, Bruxelles et Paris pendant l'été 2015 avant de gagner la Corée, le Japon et la Chine.

Le fac-similé Lascaux IV apporte à la fois la sanctuarisation du site original et sa valorisation. Implanté dans le Ciap (pour Centre international de l'art pariétal) (2) à Montignac-Lascaux, en contrebas de la colline de Lascaux, il a été inauguré le 15 décembre 2016. Réalisé par Snøhetta, cabinet d'architecture norvégien associé au cabinet de scénographie Casson Mann, le bâtiment qui l'abrite s'insère comme un grand animal préhistorique dans cette vallée de la Vézère, berceau de l'art pariétal.

Quant au fac-similé proprement dit, sa réalisation a été confiée à l'AFSD (pour Atelier des Fac-Similés du Périgord), filiale de la Semitour-Périgord chargée de l'exploitation des sites culturels et touristiques en Dordogne. Installée sur un site de 4 000 m2 à Montignac, l'Afsd intègre des peintres-plasticiens, des sculpteurs, des “résineurs”, des techniciens en métallurgie, auxquels sont associés, suivant les besoins, des spécialistes dans les techniques modernes telles que les relevés laser, les prises de vues numériques, les traitements informatiques ou le “voile pierre”, procédé breveté qui permet de déposer sur les structures un voile ayant une texture identique à la roche par son aspect et sa couleur.

Directeur artistique de l'Atelier, Francis Ringenbach est avant tout un sculpteur et, à ce titre, il a su conférer au fac-similé une dimension artistique tout en s'appuyant sur les matériaux les plus en pointe. Première phase des cinq étapes, la saisie 3D, confiée au cabinet de topographie Perazio Engineering, a été réalisée par le Leica HDS 7000, un scanner ultra rapide (> à 1 million de points/seconde), opérant dans une longueur d'onde de 1,5 µm, avec une résolution de 0,1 mm. Profitant des quelques heures autorisées par jour, les scanners, implantés sur quelque 168 points de la grotte, ont relevé 3,4 milliards de coordonnées spatiales.

Les 20 000 fichiers numériques, en haute résolution (16 pixels/mm2), nécessaires au relevé photographique intégral de la grotte, ajoutés, via le logiciel de modélisation 3DReshaper, au nuage de points scannés, forment le clone informatique de la grotte, fidèle au millimètre près.

Il permet d'aborder la deuxième phase qui consiste à “transformer les données informatiques en quelque chose d'esthétique” comme le souligne le directeur de l'entreprise Formes et Volumes. 250 blocs de polystyrène sont découpés en briques de 2,40 m de haut, 1,20 m de large et 60 cm d'épaisseur, dégrossis à la technique dite du fil chaud, avant d'être modelés par un robot de précision à 6 axes, piloté par ordinateur. Après assemblage, ces blocs reçoivent, en référence aux images 3D, un enduit minéral destiné à reproduire fidèlement les reliefs et les failles des parois de la grotte. Un travail minutieux accompli centimètre carré après centimètre carré par trois sculpteurs qui a nécessité plus de quarante journées pour aboutir à ce que Francis Ringenbach désigne comme une “matrice modelée” qui rejoint l'Atelier de Montignac pour la troisième phase.

Pour réaliser une empreinte de cette “matrice-modelée”, les mouleurs-résineurs étalent un élastomère qui est rigidifié par l'application sur l'arrière d'une couche de résine. Après séchage, les blocs de polystyrène (la “matrice modelée”) sont alors retirés ; cela permet, en passant par des moulages et des contre-moulages, de réaliser autant de parois en résine souhaitées. La fabrication de ces parois a nécessité huit tonnes d'élastomère et vingt tonnes de résine. La qualité du rendu final doit beaucoup au fameux “voile de pierre”, mélange de poudre de marbre blanc et de résine acrylique incorporé au cours du moulage, qui concourra à faciliter l'absorption des pigments lors de l'étape suivante.

C'est en effet à ce stade qu'une vingtaine de plasticiens auront pour mission d'orner à l'identique ce “voile de pierre” en commençant par les différentes tonalités d'ocres destinées à donner à la pierre ses couleurs basiques, parsemées de veines minérales sombres ou d'excavations plus claires. Sans oublier les éclats de lumière émis par la mince couche de calcite déposée au fil du temps, dont on retrouvera les effets en déposant sur les parois ornées un mélange de poudre de verre et de quartz. Avant de s'attaquer à la reproduction des motifs animaliers, les plasticiens composeront ce que l'on peut désigner comme la palette de Lascaux. Elle est constituée en mélangeant des pigments minéraux souvent proches de ceux utilisés aux origines. Ils sont appliqués avec des pinceaux et des éponges proches également des outils employés il y a quelque 20 000 ans mais en s'appuyant sur l'apport des technologies numériques. En effet, les images issues des relevés numériques 3D sont projetées sur les parois pour permettre une reproduction parfaite de ce bestiaire unique.

La cinquième et dernière phase consistera à transporter ces reproductions dans le Centre international de l'art pariétal pour les assembler. Une étape délicate si l'on sait que certaines des 54 parois, avec leur armature pouvaient peser jusqu'à deux tonnes et avoir, comme l'imposante “Vache noire”, une longueur de dix mètres ou plus. Pour les recevoir, la société AAB (pour Atelier Artistique du Béton) avait réalisé auparavant le fac-similé de la partie géologique. Un chantier de deux années pour construire 1 500 m2 de parois reposant sur une structure métallique, sur laquelle on applique un enduit à base de ciment, recouvert lui-même par une couche de béton de huit centimètres d'épaisseur. Ce dernier est alors coloré et sculpté avant de recevoir les patines et les traitements de surface définitifs reproduisant l'aspect original de la grotte avec ses taches d'oxyde de fer ou de manganèse. Après ces quelques semaines d'assemblage, il ne restait plus qu'à masquer les jointures en les comblant avec du ciment et en leur appliquant sur place les traitements réalisés auparavant dans les différents ateliers. Il aura donc fallu plus de trois années pour essayer de retrouver “l'éblouissement" d'Yves Coppens ou les “émotions” de Georges Bataille (3) ou de Philippe Sollers : “... Qui est descendu là-bas une fois est marqué à jamais par ce cri de silence...” (4) 

 

1- Éditions Odile Jacob, à paraître en septembre

2-  www.projet-lascaux.com

3- La peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de l'art, Skira 1955

4- Philippe Sollers, Tremblement de Bataille, Gallimard, Revue L’Infini, n°78 du 27/03/2002

Vue extérieure du Centre International de l’Art Pariétal de Montignac-Lascaux. Photo Luc Boegly - Sergio Grazia
Vue extérieure du Centre International de l’Art Pariétal de Montignac-Lascaux.
Photo Luc Boegly - Sergio Grazia
“L'atelier de Lascaux” : huit grandes parois de grotte se trouvent dans cet espace où les visiteurs peuvent librement se déplacer, chacune d’entre elles représentant les principales œuvres de la grotte. Photo Centre International de l’Art Pariétal
“L'atelier de Lascaux” : huit grandes parois de grotte se trouvent dans cet espace où les visiteurs peuvent librement se déplacer, chacune d’entre elles représentant les principales œuvres de la grotte.
Photo Centre International de l’Art Pariétal