Art et littérature, introduction

Par François-Bernard Michel, de la section des Membres libres, avec Serge Velay, philosophe. 

« L’écrit a toujours constitué le socle de ma peinture et je m’en suis largement nourri, dans ma démarche d’artiste comme dans la construction de ma pensée », confesse Gérard Garouste en introduction de sa remarquable contribution à ce dossier de la Lettre. 

Ce propos découvre, sous la plume d’un peintre, la profession de foi d’un lecteur. L’œuvre de cet artiste, familier des grands textes de la littérature universelle et instruit de leur complexité, atteste d’un ordre de recherches et de soucis, sans quoi, remarquait Jean Paulhan, l’art comme la littérature ne sont qu’une « plaisanterie assez médiocre » ; preuve que ce projet artistique, parce qu’il s’adosse à l’illusion et à la fiction, est indissociable d’une démarche interprétative et d’une interrogation sur les pouvoirs du langage et de l’image.

De cet aperçu nuancé, révélateur des liens entre esthétique, éthique et politique, on retiendra encore la phrase conclusive : « J’aime ce paradoxe qui veut qu’on se dépare de notre esprit rationnel mais en suivant une vraie discipline. » L’époque étant à l’irrationnel et à la simplification, il y a fort à parier que l’on adhèrera volontiers au projet, sans souscrire pour autant à la méthode. 

Car c’est peu de dire que la fonction « somptuaire » de l’art – l’art comme un surplus, comme quelque chose pour rien, qui représente Dieu, le sacré ou ce qui est au-delà – est aujourd’hui mise à mal. De même la fonction de l’artiste qui, dès lors qu’il s’est converti à la religion nouvelle de la production, s’est affranchi de la figure héroïque du créateur, héritée de la révolution industrielle et du romantisme tardif : un créateur chez qui l’appétit de nouveau et l’attachement au sacré se combinaient avec la défiance à l’égard de l’ordre établi et avec la nostalgie d’un temps révolu.

Face au « désenchantement du monde », et en raison de la conscience aiguë et douloureuse que nous en avons, la tentation est forte de pencher vers le négatif. Reste que dénoncer le système, nous dresser contre l’industrie et la technique serait une impasse. C’est pourquoi il est de notre responsabilité d’accompagner le devenir ; de l’affirmer et de le porter, au lieu de le nier, afin de transformer le devenir en avenir. Et, pour ce qui nous concerne, en nous faisant, à nouveaux frais, les héritiers de la question radicale de l’esthétique et de la longue histoire de l’art et des idées.

Henri Fantin-Latour  (1836–1904), Coin de table, 1872, huile sur toile, 160 x 225 cm. Musée d’Orsay.  Initialement prévu comme un hommage à Charles Baudelaire, le Coin de table est un témoignage de l’histoire littéraire du 19e siècle et du groupe des poètes Parnasse en particulier.   Debout, de gauche à droite : Elzéar Bonnier, Émile Blémont (qui a acheté la peinture et l’a donnée au Louvre en 1910) et Jean Aicard. Assis : Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly et Camille Pelletan. Sont absents : Charles Baudelaire, mort en 1867 et Albert Mérat qui n’a pas voulu être peint. Il est symboliquement représenté par le bouquet de fleurs, à droite.
Henri Fantin-Latour  (1836–1904), Coin de table, 1872, huile sur toile, 160 x 225 cm. Musée d’Orsay.
Initialement prévu comme un hommage à Charles Baudelaire, le Coin de table est un témoignage de l’histoire littéraire du 19e siècle et du groupe des poètes Parnasse en particulier. 
Debout, de gauche à droite : Elzéar Bonnier, Émile Blémont (qui a acheté la peinture et l’a donnée au Louvre en 1910) et Jean Aicard. Assis : Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d’Hervilly et Camille Pelletan. Sont absents : Charles Baudelaire, mort en 1867 et Albert Mérat qui n’a pas voulu être peint. Il est symboliquement représenté par le bouquet de fleurs, à droite.
Portrait d’Arthur Rimbaud réalisé par le photographe Étienne Carjat (1828-1906), vers 1872.   Détail d’un retirage ancien − Étienne Carjat avait détruit les originaux −, ayant appartenu à Paul Claudel, maintenant au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.
Portrait d’Arthur Rimbaud réalisé par le photographe Étienne Carjat (1828-1906), vers 1872. 
Détail d’un retirage ancien − Étienne Carjat avait détruit les originaux −, ayant appartenu à Paul Claudel, maintenant au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.