Chanter, un travail et un plaisir

Entretien avec Jean Sourisse, directeur musical du Chœur d’Oratorio de Paris.

Nadine Eghels : Comment est née votre passion pour le chant choral ?

Jean Sourisse : On peut en effet parler d’une passion qui remonte à l’enfance. Mes parents étaient très mélomanes, j’ai grandi au Maroc dans un environnement d‘une grande diversité musicale, et une fois rentré en France j’ai reçu une formation professionnelle, tout en commençant la pratique du chant au sein d’un excellent chœur amateur. Ensuite je me suis consacré à la pédagogie et à l’enseignement musical tant au lycée, à l'université, qu'au sein d’IUFM  ou d'organismes privés (en formation vocale et direction de chœur). Je continuais bien sûr à chanter et j’ai bientôt ressenti le vif désir de devenir chef de chœur. C’est un parcours assez naturel, mais la première étape est incontournable : on ne peut pas devenir chef de chœur si on n’a pas pratiqué d’abord assidûment le chant choral, avec ce que cela implique de rigueur et de discipline, d’engagement collectif, d’écoute des autres.

 

N.E. : Quels chœurs avez-vous dirigés ?

J.S. : J’ai créé de nombreuses formations chorales tout au long de ma carrière, entre autres le Chœur de l’Orchestre Colonne que m’avait confié Marcel Landowski, et depuis 25 ans je me consacre au Chœur d’Oratorio de Paris.

 

N.E. : S’agit-il d’une formation professionnelle ou d’un chœur d’amateurs ?

J.S. : Je n’aime pas le terme d’ « amateur » car il peut avoir une connotation dévalorisante sur le plan qualitatif. Disons que c‘est une formation non professionnelle. Mais pour moi la qualité n’est pas forcément limitée au professionnalisme. Nous pouvons obtenir des résultats étonnants avec des chanteurs non professionnels, à condition qu’ils s’engagent sérieusement dans ce travail et qu’ils soient dirigés par un chef lui-même professionnel, doublé d’un bon pédagogue.

Evidemment quand un chanteur est professionnel, cela signifie qu’il peut se consacrer entièrement à son art, et il devient forcément meilleur lorsque son talent peut s’épanouir dans des conditions optimales. Mais avec des formations non professionnelles, on peut tout de même atteindre un niveau qualitatif très respectable, mais qui malheureusement n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur.

 

N.E. : Quel répertoire développe le Chœur d’Oratorio de Paris ?

J.S. : Nous travaillons un répertoire assez diversifié, de la Renaissance à nos jours : musique sacrée et profane, cantates, motets, oratorios… L’important étant de choisir des œuvres correspondant aux goûts et aux aptitudes du chef autant qu’à l’effectif des chanteurs et à leur niveau. Les chanteurs étant non professionnels, ils ont parfois tendance à privilégier tel type de répertoire qui leur plaît, au détriment d’autres qu’ils n’ont pas le temps ni l’envie d’aborder.

 

N.E. : Comment percevez-vous l’évolution du chant choral français ?

J.S. : Depuis quelques années on parle beaucoup d'une expansion de la pratique chorale. Peut-être... Mais de quoi s'agit-il au juste ? Car il faut distinguer deux options : d’une part, une pratique, de plus en plus répandue en effet, et très louable, de chant choral dans un but de loisir, d’animation, de bien-être, de lien social, et d’autre part la pratique d’un art choral exigeant, qui demande du talent, de la rigueur et beaucoup de travail. La confusion entre ces deux pratiques parfois s’installe, et c‘est assez regrettable car les formations non professionnelles de qualité ont déjà beaucoup de mal à se faire connaître d’un large public et leur travail est très peu médiatisé. Cette situation semble d’ailleurs particulière à la France.

 

N.E. : Comment cela se passe-t-il ailleurs ?

J.S. : Dans les pays anglo-saxons, germaniques, nordiques, il y a une tradition de chant choral solidement établie. Dans ces pays, c'est une véritable institution, unanimement considérée et respectée. Les pratiques y sont très répandues depuis des siècles, qu’elles soient professionnelles ou non, et il n’y a pas de confusion des genres. Quand un chef de chœur disparaît, il est très vite remplacé, alors qu’en France souvent la formation cesse ses activités avec lui, et les chanteurs se dispersent.

 

N.E. : Qu’est-ce qui fonde la cohésion d’un chœur ? Son répertoire, la connivence entre ses membres ?

J.S. : C’est avant tout la personnalité du chef qui fonde le chœur, son charisme, et plus particulièrement sa dimension pédagogique, son goût de la transmission, ses compétences de chanteur et son envie de les partager. Souvent les chœurs professionnels sont constitués de chanteurs intermittents qui passent d’une formation à l’autre pour un ou plusieurs concerts, comme des acteurs qui passent d’un théâtre à l’autre selon les rôles qu’on leur propose. Dans les formations non professionnelles on a plus vite un sentiment de cohésion, du moins avec ceux qui ont compris que ce n’était pas seulement un loisir, mais un travail. Un travail qui procure du plaisir.

www.oratoriodeparis.asso.fr

Le Chœur d’Oratorio de Paris, sous la direction de Jean Sourisse, au centre, dans la "Messe en si mineur" de Jean-Sébastien Bach, à la Basilique Sainte-Clotilde, à Paris, en 2012. Photo François Devienne
Le Chœur d’Oratorio de Paris, sous la direction de Jean Sourisse,
au centre, dans la "Messe en si mineur" de Jean-Sébastien Bach, à la
Basilique Sainte-Clotilde, à Paris, en 2012.
Photo François Devienne