Éditorial de la Lettre numéro 92 | été 2020

Par Laurent Petitgirard, Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, et compositeur

 

En juin 1982, dans les arènes d’Arles, le photographe et futur académicien Lucien Clergue saisissait Maurice Béjart, avec le Ballet du XXe Siècle, en répétition de sa création Thalassa Mare Nostrum, sur une musique de Mikis Theodorakis.
En juin 1982, dans les arènes d’Arles, le photographe et futur académicien Lucien Clergue saisissait Maurice Béjart, avec le Ballet du XXe Siècle, en répétition de sa création Thalassa Mare Nostrum, sur une musique de Mikis Theodorakis.

Un art majeur

Quel incroyable paradoxe : au moment où l’Académie des beaux-arts décidait de saluer la danse en préparant cette Lettre qui lui est consacrée, la moitié du monde se confinait et l’on découvrait les images de ces danseuses et danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris contraints de s’entraîner dans leur salon ou d’esquisser quelques pas sur leur terrasse, pour les plus chanceux.

Cette pandémie aura ainsi souligné de façon cuisante les très fortes disparités sociales de notre pays avec en premier lieu la notion d’espace disponible. L’exiguïté de nombreux logements a constitué une véritable épreuve pour celles et ceux qui, ne disposant pas de la surface suffisante pour vivre sereinement, ont eu le sentiment d’étouffer et d’être privés de la liberté élémentaire de se déplacer selon leur désir. Plus que jamais, disposer pour vivre d’un espace minimum aura constitué un véritable privilège.

Mais pour les créateurs de notre Compagnie, ces mois de confinement auront souligné un autre privilège, moins évident peut-être que celui lié à la position sociale des uns et des autres : celui de vivre de sa passion. Mes confrères peintres, sculpteurs, graveurs, architectes, compositeurs ou photographes m’ont tous indiqué avoir profité de cet isolement forcé pour simultanément prendre du recul et créer encore plus. Même les cinéastes ou les chorégraphes, privés de leur équipe ou de leur compagnie, ont travaillé sur de nouveaux projets et rêvé à un autre futur.

Là, nous devons alors, plus que jamais, être conscients de cet extraordinaire privilège d’être ainsi plongés au cœur de l’art, quels que soient notre esthétique, nos succès ou nos échecs, et de pouvoir chaque jour nous consacrer à ce dont nous rêvions toutes et tous dès l’enfance ou l’adolescence.

La leçon à en tirer sera celle de la nécessité du partage de l’émotion avec celles et ceux qui n’ont pas cette opportunité.

L’entrée de la chorégraphie comme une nouvelle discipline représentée par une section propre au sein de l’Académie des beaux-arts était ma priorité depuis mon élection. Mes consœurs et confrères en étaient en effet conscients lorsqu’ils m’ont fait l’honneur de m’élire Secrétaire perpétuel le 1er février 2017.

« Chorégraphie » et non pas « Danse » car nous sommes une académie de créateurs, renforcée par des membres libres, artistes de disciplines artistiques non représentées dans notre Compagnie, grands serviteurs de la vie culturelle ou mécènes.

Maurice Béjart avait ainsi été élu « membre libre », on voit bien là à quel point la création d’une section de Chorégraphie, actée le 9 octobre 2018, était essentielle.

Elle comprend quatre membres et quatre correspondants. Le 24 avril 2019, trois des quatre fauteuils ont été pourvus avec l’élection de Blanca Li, de Thierry Malandin et d’Angelin Preljocaj. Le 15 janvier 2020, deux correspondants ont été élus, Dominique Frétard et Didier Deschamps. L’effectif sera complété par une élection à venir à la fin de cette année.

Les compositeurs ont évidemment toujours été proches de la danse. Ma consœur et mes confrères de la section de Composition musicale sont donc les premiers à se réjouir de l’arrivée des chorégraphes. Ceci ne nous empêchera pas de les questionner sur la place de la musique contemporaine dans les nouveaux ballets, sur le manque de véritables projets communs ou encore sur la trop grande propension qu’ont de nombreux chorégraphes à utiliser des montages de différentes musiques préexistantes aux dépends de nouvelles partitions. Mais j’anticipe sur les débats animés que nous ne manquerons pas d’avoir, avec de nouveaux confrères qui se sont toujours passionnés pour la musique de leur temps.

Cette Lettre vous permettra de découvrir, je l’espère, à quel point l’Académie des beaux-arts s’est enrichie en accueillant cet art majeur.