Éditorial - « L'artiste foudroyé »

J’avais encore tant de choses à dire

« J’avais encore tant de choses à dire », tels auraient été là les derniers mots de Maurice Ravel à son amie la pianiste Marguerite Long, peu de temps avant l’opération du cerveau qui allait lui être fatale.

C’est en pensant à ce terrible sentiment d’impuissance auquel ont dû être confrontés tant de génies, amputés subitement ou progressivement dans leurs capacités créatrices, que j’ai proposé à mes consœurs et confrères le thème de l’artiste foudroyé pour le dossier de cette « Lettre ».

De Beethoven à Goya, de Van Gogh à Camille Claudel, de Ravel à Nijinski et même de Vatel à Johan Otto von Spreckelsen, que de souffrances et de détresses dans leur recherche de l’absolu, pour reprendre la formule de Balzac.

Les maladies physiques ou mentales ne sont pas les seules causes de ces foudroiements.

Nous aurions pu évoquer Piotr Ilitch Tchaïkovski, contraint au suicide du fait de son homosexualité, ou encore les persécutions judiciaires dont a souffert le grand architecte Fernand Pouillon, mais, en cette période si inquiétante pour la création artistique, notamment aux États-Unis, il nous a semblé nécessaire de rappeler les ravages du maccarthysme dans le cinéma américain au début des années 50, sujet développé par notre chère présidente Coline Serreau.

Un jour glacial de décembre 1937, en rentrant dans son petit appartement au rez-de-chaussée de l’avenue de Ségur à Paris, ma mère a entendu les « Jeux d’eau » de Maurice Ravel que jouait avec des mitaines mon père Serge Petitgirard, grand pianiste. Elle m’a raconté qu’en s’approchant elle a vu que le clavier était humide de toutes les larmes de mon père. C’était un 28 décembre et l’on venait d’annoncer la mort de ce génie. En cette année où nous célébrons les 150 ans de la naissance de Ravel, je n'ai pas résisté à partager avec vous cette image de famille.

Je remercie, au nom de toute la rédaction de la « Lettre de l’Académie », les membres et correspondants de notre académie et des autres académies de l’Institut, ainsi que les personnalités extérieures, qui ont contribué à ce dossier qui aurait pu comporter des centaines de noms.

 

Laurent Petitgirard

Compositeur et chef d'orchestre
Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts

[édito issu de la Lettre de l'Académie n°102, L'artiste foudroyé]

 

Maurice Ravel (1875-1937), photo Boris Lipnitzki. The Print Collector / Alamy
Maurice Ravel (1875-1937), photo Boris Lipnitzki. The Print Collector / Alamy