Exposition « Jean Lurçat (1892-1966), au seul bruit du soleil »

Galerie des Gobelins | jusqu'au 18 septembre.

« Regards, émotions »

« Jean Lurçat aura traversé sa vie une palette de couleur à la main et une inventivité fraiche accrochée à son œil. Il est l’essence même de la poésie... Grand travailleur, il donne l’illusion de se promener avec facilité dans des métiers très différents.

D’une technique à l’autre, de la plume au crayon, de l’idée au pinceau, de la terre au fil de laine, du dessin de textile au costume, du décor au croquis, de l’illustration à l’installation, du plus petit au plus grand, bijoux, tapis, tapisserie, il donne cette image d’aisance, trace indéniable du talent... Émotion, élégance et tempérament.

Derrière ce magicien de la couleur, se cache aussi l’homme de conviction et d’engagement.

Encré dans son temps, il partage les préoccupations des intellectuels, aussi bien que les tendances et les passions des gens de goût. Auprès des plus grands, la reconnaissance de ses contemporains l’aura comblé à l’Académie des Beaux-Arts... Faisant suite à Jean-Gabriel Domergue, le champion de la sensualité mondaine, la radicalité graphique de Jean Lurçat apparaît comme un délicieux clin d’œil.

C’est avec un immense plaisir qu’à mon tour je me suis immergé dans l’époque et l’intimité créative de ce personnage hors norme, qui aura fait de son vocabulaire, de ses formes et de ses matières la marque de sa poésie. Sa maison, conçue avec son frère André, est la synthèse de son univers, et j’en ai fait la colonne vertébrale de cette exposition. » ■

 

Jean-Michel Wilmotte, membre de la section d’Architecture, scénographe de l'exposition

Extrait du catalogue de l’exposition, Éd. Silvana Editoriale.

 
 

« Pour prendre congé... »

Jean Lurçat et la peinture

cc

Au lendemain de l’armistice de 1919, le nom de Jean Lurçat, jeune vosgien démobilisé, devient celui de « maître de l’heure » des « années folles ». En 1929, il expose partout où il convient d’exposer, à Paris où il est de tous les nouveaux salons, à Londres, à New York, à Berlin. Son autorité rejoint celles des grands maîtres avec qui il partage les pages de L’Intransigeant et les reproductions de ses toiles occupent des pleines pages dans les magazines spécialisés comme Cahiers d’art, Sélection, Formes. Il devient l’aîné de ceux que les critiques d’art, Paul Fierens, Tériade, qualifient de « jeunes peintres » : Beaudin, Borès, Masson, Cossio, Biétry, Vinès, Goerg, Fautrier. Puis c’est la déconfiture après le mercredi noir de Wall Street à New York. La bulle inflationniste du marché de la peinture éclate. Les galeristes, pour éviter le dépôt de bilan, suspendent leurs placards publicitaires et cessent d’acheter. À Paris, seuls quelques maîtres de l’avant-guerre, Picasso, Matisse, se soutiennent en publiant leurs productions non vendues dans les livraisons des grandes revues. Les artistes se restreignent - l’art coûte cher -, tentent des reconversions techniques, se font graveurs. Beaucoup nettoient les pinceaux, poussent les chevalets contre le mur de l’atelier et cessent de peindre. Réduit à cette extrémité, Lurçat se révolte, édite un album de dessins, P.P.C. (c’est-à-dire « Pour prendre congé ») et publie le 1er novembre 1932 un brûlot contre l’artificiel et le convenu de la peinture de chevalet, Lettre sur la peinture d’aujourd’hui, dans le numéro 2 d’Esprit, la revue d’Emmanuel Mounier. Il croit avoir mis un point final à ses treize années de peinture formatée pour collectionneurs. 

Deux ans plus tard, en 1935, il retend des toiles pour soutenir son engagement auprès de Louis Aragon dans la Querelle du réalisme : il fait là une étonnante peinture dans la ligne esthétique et politique du parti communiste français. En 1938, il peint quelques paysages désolés de l’Espagne déchirée par la guerre civile, puis arrête la peinture de chevalet pour de bon. ■

 

Christian Derouet, Conservateur général, commissaire de l'exposition

Extrait du catalogue de l’exposition, Éd. Silvana Editoriale

www.mobiliernational.culture.gouv.fr

Exposition « Jean Lurçat (1892-1966), au seul bruit du soleil », scénographe Jean-Michel Wilmotte. Photo © Thibaut Chapotot
Exposition « Jean Lurçat (1892-1966), au seul bruit du soleil », scénographe Jean-Michel Wilmotte.
Photo © Thibaut Chapotot
Jean Lurçat, « Smyrne », 1926, huile sur toile, 65 x 100 cm. © Fondation Jean et Simone Lurçat - Académie des Beaux-Arts, ADAGP 2016
Jean Lurçat, « Smyrne », 1926, huile sur toile, 65 x 100 cm.
© Fondation Jean et Simone Lurçat - Académie des Beaux-Arts, ADAGP 2016