La Halle Freyssinet : renouveler et démultiplier la force architecturale initiale

Par Jean-Michel Wilmotte, membre de la section d’Architecture.

Pour le projet de restructuration de la halle Freyssinet, en incubateur numérique, nous allons perpétuer cette idée maitresse de l’insertion dans l’existant qui consiste à la fois à préserver et valoriser une œuvre du passé, tout en lui insufflant avec respect et attention un programme résolument contemporain et novateur. Cette adjonction vient en complémentarité, fabriquant ainsi une synergie inédite qui révèle, renouvelle et démultiplie la force architecturale initiale.

Ainsi notre projet est basé sur une démarche active qui ne se contente pas uniquement de retrouver un passé qui n’existe plus et ne saurait exister de nouveau, mais au contraire à redynamiser un ouvrage historique, lui redonner vie par la mise en valeur de son essence même, tout en intégrant de nouveaux éléments d’architecture qui agissent comme des révélateurs, des exhausteurs, permettant à chacune de ces deux architectures de bénéficier de la force de l’autre pour former un tout unique dans un nouvel espace vivant et contrasté.

La halle Freyssinet est un bâtiment remarquable en béton armé précontraint réalisé en 1927 par l’ingénieur Eugène Freyssinet. Une technique innovante de mise en œuvre du béton a permis de doter cette halle d’une structure porteuse d’une exceptionnelle légèreté, ce qui lui vaut d’être inscrite depuis 2012 à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.

Cet édifice initialement destiné à abriter les opérations de transbordements train-camions était connecté au réseau ferroviaire de la gare d’Austerlitz. C’est un vrai projet urbain au milieu de la ZAC Paris-Rive-Gauche puisqu’il aura une incidence sur le quartier du 13 e arrondissement. Xavier Niel a été un véritable visionnaire et a fait preuve d’un esprit d’anticipation lorsqu’il a choisi d’implanter ce projet dans ce lieu.

La halle est située sur le sol naturel, elle assume un véritable rôle de passeur entre la ville contemporaine surélevée au-dessus des voies ferrées et les faubourgs du 13 e. Notre projet aura pour ambition de reconnecter ces deux urbanités en prolongeant le tissu viaire à travers la halle par la présence de deux passages publics couverts qui la traversent de part en part, permettant ainsi aux habitants du quartier de côtoyer ce bouillonnement créatif continu.

La halle Freyssinet est un vaste bâtiment d’une longueur d’environ 310 m. pour 58 m. de large. Elle est principalement constituée de trois nefs parallèles faites de voûtes minces en béton précontraint, dont l’épaisseur peut s’affiner pour atteindre moins de 5 cm. au faîtage. La présence de grands auvents suspendus et des tirants en béton autorise l’extrême finesse structurelle de l’ensemble en servant de contrepoids, permettant ainsi au squelette de béton d’être optimisé et réduit à la seule expression des forces qui le traversent. Après avoir subi au cours du temps bon nombre d’adjonctions, de mutations et d’usages différents impliquant d’importantes adaptations techniques et architecturales, notre projet d’incubateur numérique va s’employer à faire renaître la vision originelle intégrale de ce vaste parapluie en béton brut, et ainsi redonner à la halle Freyssinet toute sa splendeur et sa force passée.

 

Trois grands programmes vont s’établir et s’articuler au sein de cette grande halle :

Le forum, véritable place publique polyvalente à l’entrée de la halle et en regard du parvis urbain, accueille des services partagés entre les utilisateurs et le grand public (LABFAB, salles de réunions, auditorium de 360 places, espace polyvalent et café)

Le portique d’entrée donne à lire la mémoire de l’imbrication profonde de la structure existante et de celle du pavillon d’administration démoli. Outre cette fonction symbolique qui révèle à tous les traces du passé, l’inertie de cette résille de béton est renforcée à l’arrière du plan de façade par des poteaux en acier noir. Cette structure en béton existante sera donc maintenue en tant que trace historique et nécessité structurelle. Elle sera enserrée, en prolongement des poteaux aciers, par des cadres en acier noir afin de la protéger des intempéries mais également pour affirmer notre intervention contemporaine sur la façade principale d’arrivée.

Les start-up, un espace de travail privatif dédié aux jeunes entrepreneurs est organisé le long de douze travées rythmé par une série de 8 villages à niveaux totalisant près de 3000 postes de travail.

La nef centrale n’est pas habitée par les espaces de travail, c’est un espace polyvalent de rencontre et d’échanges qui ouvre ainsi une grande perspective sur toute la longueur de l’édifice.

Les deux anciennes voies ferroviaires sont réactivées et deviennent deux tranchées encaissées qui contiennent un nombre important de casiers privatifs, en acier laqué noir. Ce dispositif permet de retrouver par un effet cinétique et fonctionnel l’empreinte historique des rails.

Les nouveaux planchers en acier (pour se démarquer de la structure en béton existante) sont uniquement créés sur les deux nefs latérales et établis sous forme de gradins afin de dégager des vues latérales ascendantes et de permettre ainsi une perception visuelle complète des trois voûtes depuis l’espace du mail central.

L’activité spécifique des jeunes start-up est basée sur l’échange permanent et la formation d’une communauté, c’est pourquoi il n’y a pas d’espaces clos mais une succession de plateaux de travail ouverts et collaboratifs rythmés par des containers blanc en léger porte-à-faux sur l’espace libre de la nef centrale. Ils identifient des lieux plus intimistes, les villages regroupant des fonctions partagées (petites salles de réunions, cuisine, SKYPE box, WC... ). Ce cœur servant est entouré de deux espaces de co-travail modulables et polyvalents, largement ouverts sur la nef principale mais aussi orientés sur les nouvelles façades latérales.

Le restaurant est ouvert 24h/24h, il s’ouvre au sud sur une terrasse et un jardin public, c’est un lieu d’interface et d’échanges entre les utilisateurs et le quartier.

Cette partie de la halle a conservé ses quais et ses voies d’origine, nous en profitons pour réintroduire un lien mémoriel par l’adjonction de plusieurs wagons restaurants qui complètent l’aménagement de ce lieu et ajoutent une note nostalgique évoquant les traditionnels buffets de gare.

Enfin, une grande galerie technique longitudinale, située sous la nef est, permettra de loger l’intégralité des équipements techniques ; ce choix architectural permet d’innerver tous les espaces sans les impacter visuellement, tant en intérieur qu’au niveau des toitures.

 

Le projet d’incubateur numérique a pour principe fondateur de préserver et de restaurer la prouesse structurelle d’Eugène Freyssinet pour en faire un vaste toit fédérateur, un parapluie en béton brut baigné de lumière qui abrite trois grandes entités programmatiques distinctes, chacune affirmant un rôle et une identité propre.

L’ensemble des nouvelles adjonctions est donc pensé dans une volonté expresse de s’affirmer de manière autonome et remarquable, notre projet met en œuvre pour cela un nombre très limité de matériaux (l’acier et le verre) et de couleurs (le noir et le blanc). De cette manière nous garantissons une réelle réversibilité architecturale tout en affirmant notre projet comme une intervention contemporaine. Chacun de ces deux « objets architecturaux » (l’ancien et le nouveau) existe pour lui-même mais les deux se confrontent et s’affirment dans une complémentarité et une interactivité flagrante et dynamique.

www.wilmotte.com

Construite dans les années 1920, la halle Freyssinet abritait les messageries de la gare d'Austerlitz, dans le 13 e arrondissement de Paris. Le bâtiment devrait accueillir fin 2016 plus de mille start-up du secteur du numérique dans un espace de travail partagé. Jean-Michel Wilmotte, architecte.
Construite dans les années 1920, la halle Freyssinet abritait les messageries de la gare d'Austerlitz, dans le 13 e arrondissement de Paris. Le bâtiment devrait accueillir fin 2016 plus de mille start-up du secteur du numérique dans un espace de travail partagé.
Jean-Michel Wilmotte, architecte.
Les espaces réaménagés de la nef centrale se muent en un espace polyvalent de rencontre et d’échanges ouvrant une perspective sur toute la longueur de l’édifice. Jean-Michel Wilmotte, architecte.
Les espaces réaménagés de la nef centrale se muent en un espace polyvalent de rencontre et d’échanges ouvrant une perspective sur toute la longueur de l’édifice.
Jean-Michel Wilmotte, architecte.