La maison d'un collectionneur

Par Érik Desmazières, membre de la section de Gravure, nouveau directeur du musée Marmottan Monet

Propos recueillis par Nadine Eghels

 

Le Salon Bidauld et Vernet. Photo Christian Baraja SLB
Le Salon Bidauld et Vernet du musée Marmottan Monet. Photo Christian Baraja SLB

 

Nadine Eghels : Votre arrivée est soudaine, il y a un an vous n’imaginiez sans doute pas de vous retrouver aujourd’hui à la direction du musée Marmottan Monet, qui appartient à l'Académie des beaux-arts...  
Érik Desmazières : Oui en effet, c’est suite à l’élection de Patrick de Carolis à la mairie d’Arles que j’ai été pressenti puis élu à la direction de ce magnifique musée. Je prends un train en marche, un train qui roule merveilleusement bien car mon prédécesseur durant sept ans l’a conduit de main de maître ! Il y a une collection extrêmement intéressante et une très belle programmation pour les deux ans à venir.

N.E. : En quoi consiste-t-elle ?
É.D. : Il y aura à la fin du mois de janvier l’exposition du peintre danois Peder Severin Krøyer (1851-1909), l’artiste peut-être le plus doué de l’école de Skagen, une communauté de peintres installés dans les années 1880-1890 à l’extrême pointe nord de la péninsule danoise, entre Mer du Nord et Baltique, où il y a l’été une lumière particulière avec des crépuscules interminables, et cette fameuse « heure bleue ».
Contrairement à la peinture nordique qui est plutôt assez mélancolique, la peinture de Krøyer est joyeuse : enfants se baignant, pêcheurs au bord du rivage, promeneurs sur la plage, réunions d’amis dans un jardin ou autour d’une table et toujours cette lumière irradiante. Célèbre en Scandinavie, Krøyer n’est pas très connu en France, certains de ses tableaux avaient été montrés en 1987 au Petit Palais dans le cadre de l’exposition « Lumières du Nord », mais ce sera la première exposition qui lui sera entièrement consacrée. Elle fera écho également à l’exposition du Petit Palais (hélas fermée pour raison sanitaire), « L’âge d’or de la peinture danoise » 1801 à 1864... 1864, année cruciale pour les Danois qui perdent au cours de « la guerre des Duchés » contre les Prussiens la partie méridionale de leur pays.

N.E. : Quel est le lien avec le musée Marmottan Monet ?
É.D. : Krøyer est un contemporain des impressionnistes, un peu plus jeune que Monet qui est né en 1840. Il a séjourné en France à plusieurs reprises, a fréquenté l’atelier de Bonnat, a participé à des salons et même à l’exposition universelle de 1889... C’était une époque où nombreux étaient les artistes à converger vers Paris, capitale incontestée des arts, théâtre de très nombreuses manifestations artistiques mais aussi lieu d’enseignement privilégié avec l’École des beaux-arts et les nombreuses académies privées. Notre exposition Krøyer sera présentée jusqu’à l’été, et nous espérons qu’elle contribuera à faire connaître en France l’œuvre de ce bel artiste.

 

L'extérieur de l’ancien hôtel particulier de Paul Marmottan, collectionneur passionné de la période Empire, devenu le musée Marmottan Monet. Photo Christian Baraja SLB
L'extérieur de l’ancien hôtel particulier de Paul Marmottan, collectionneur passionné de la période Empire, devenu le musée Marmottan Monet. Photo Christian Baraja SLB

 

N.E. : Quelle sera la suite de la programmation ?
É.D. : Pour ce qui est de l’année 2021, nous aurons en septembre une exposition consacrée à Julie Manet, qui était la fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, le frère d’Édouard. Elle a vécu très longtemps, jusqu’à 88 ans. Elle faisait partie du cercle des Manet et de la famille Rouart, liée également à Paul Valéry, participant pleinement à l’effervescence de ce monde artistique et intellectuel du XX e siècle. Elle a tenu son journal entre 1893 et 1899, très intéressant et aujourd’hui publié. En 2022 il y aura le « Théâtre des émotions » et « Face au soleil ». Sans compter nos partenariats avec nombre d’institutions à l’étranger car nos tableaux sont beaucoup sollicités. }

N.E. : Y a-t-il des travaux de rénovation à prévoir dans le musée ?
É.D. : Oui, le principe en est acquis car le succès de la programmation et l’augmentation de la fréquentation ont fait apparaître des insuffisances entre autres choses pour l’accueil du public, les circulations, le stockage. Nous envisageons donc des travaux dont l’ampleur est en discussion pour reconfigurer l’entrée, créer un vestiaire, faciliter la circulation des personnes à mobilité réduite entre les différents niveaux, aménager un espace de restauration. Il y aura donc une période de fermeture pour leur réalisation envisagée à partir de 2023.

N.E. : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les collections du musée Marmottan Monet ?
É.D. : Ce musée est l’ancien hôtel particulier de Paul Marmottan, collectionneur passionné de la période Empire, qu’il a légué à l’Académie des beaux-arts en 1932. C’est donc d’abord la maison d’un collectionneur, qui a gardé tout son cachet, et dont le mobilier et les œuvres en décor constituent le point de départ de la collection. D’autres donations ont ensuite suivi.

 

Vue des salles regroupant l’ensemble des tableaux monumentaux représentant les Nymphéas et le jardin de Giverny. Photo Victor Point H&K
Vue des salles regroupant l’ensemble des tableaux monumentaux représentant les Nymphéas et le jardin de Giverny. Photo Victor Point H&K

 

N.E. : Elles sont nombreuses, quels en sont les principaux auteurs ?
É.D. : Effectivement la collection n’est faite que de la générosité des donateurs ! Et ils ont été nombreux. Pour évoquer les plus importants, citons Victorine et Eugène Donop de Monchy qui ont fait entrer en 1940 le fameux tableau Impression, soleil levant ; il y a la donation Duhem de 1985 avec une magnifique toile de Gauguin ; en 1981 Daniel Wildenstein offre la collection d’enluminures de son père Georges ; en 1985, la famille Rouart lègue vingt-cinq tableaux et un ensemble très important d’œuvres graphiques de Berthe Morisot... Autre donation considérable, qui a entraîné la nouvelle appellation du musée, celle faite de son vivant par le dernier fils de Monet, Michel, en 1966. Tous les Monet tardifs sont arrivés alors... ce sont maintenant ceux qui apparaissent comme les plus audacieux, les plus annonciateurs de l’art abstrait... Il s’est même opéré un renversement de la perception de l’œuvre ultime du peintre et aujourd’hui le musée Marmottan Monet est non seulement dépositaire de la plus grande collection de tableaux de l’artiste, mais aussi de la partie la plus « moderne » de sa production. Enfin depuis 2012 la Société des amis du musée nous accompagne généreusement dans l’enrichissement de la collection, grâce à elle nous venons d’acquérir une copie de Berthe Morisot d’après Boucher.

N.E. : Quels sont vos projets ?
É.D. : C’est un peu tôt pour en parler... mais j’ai évidemment envie de faire entrer la gravure dans ce musée, nous y réfléchissons avec Marianne Mathieu qui est directeur scientifique. Nous prévoyons également de développer plusieurs expositions monographiques, et j’ai quelques noms en tête... Le poids de Monet est énorme dans la renommée de cette maison mais le côté « Marmottan-Empire » ne doit pas être oublié, c’est aussi une piste de réflexion pour les futures programmations. Je compte aussi poursuivre et développer le dialogue avec les artistes contemporains, qu’a initié Patrick de Carolis avec les « dialogues inattendus » : des artistes sont invités à réagir face à des œuvres de la collection, il y a déjà eu Gérard Fromanger, le britannique Keith Tyson, actuellement la franco-américaine Vicky Colombet dont la série Monde flottant s'inspire de Bras de Seine, près de Giverny, soleil levant. Il y aura ensuite Jean-Pierre Raynaud puis Hélène Delprat. C’est passionnant de susciter la réappropriation des œuvres du musée par des artistes d’aujourd’hui et de voir s’établir ainsi une passerelle entre passé et présent.
Dans un tout autre registre, il y aura aussi les partenariats à imaginer avec la bibliothèque Marmottan – colloques, rencontres, conférences – désormais dirigée par mon confrère Adrien Goetz et la promesse, grâce à lui et à notre collaboration, de l’ouverture du musée vers la recherche et le monde universitaire.

 

L’artiste franco-américaine Vicky Colombet est l'invitée du troisième opus des « Dialogues inattendus » pour l'exposition « Monet / Colombet, peindre comme la rivière », jusqu'au 2 mai 2021.
L’artiste franco-américaine Vicky Colombet est l'invitée du troisième opus des « Dialogues inattendus » pour l'exposition « Monet / Colombet, peindre comme la rivière », jusqu'au 2 mai 2021.

 

Vicky Colombet, Du monde flottant 1436, 2020, huile, pigments (rouge de Mars, violet outremer moyen, blanc de titane, oxyde de fer noir, oxyde de cobalt bleu verdâtre) et alkyde sur toile, 91 x 93 cm. New-York, collection Dorothea Elkon et Salem Grassi. © Bryan Zimmermann
Vicky Colombet, Du monde flottant 1436, 2020, huile, pigments (rouge de Mars, violet outremer moyen, blanc de titane, oxyde de fer noir, oxyde de cobalt bleu verdâtre) et alkyde sur toile, 91 x 93 cm. New-York, collection Dorothea Elkon et Salem Grassi. © Bryan Zimmermann

 

Claude Monet, Bras de Seine près de Giverny, soleil levant, 1897, huile sur toile, 91 × 93 cm. Dépôt de la Fondation Ephrussi de Rothschild, Paris, musée Marmottan Monet. © Christian Baraja SLB
Claude Monet, Bras de Seine près de Giverny, soleil levant, 1897, huile sur toile, 91 × 93 cm. Dépôt de la Fondation Ephrussi de Rothschild, Paris, musée Marmottan Monet. © Christian Baraja SLB

 

N.E. : Aurez-vous besoin de nouveaux espaces, et d’effectuer des agrandissements ?
É.D. : Ce serait alors à envisager dans le cadre de la restructuration du musée, mais l’espace est très contraint et nous tenons à ne pas dénaturer la maison de collectionneur. La seule possibilité serait en sous-sol. Mais notre souci premier est, comme je vous le disais, d’améliorer l’accueil du public et de lui offrir également l’espace de convivialité qui manque cruellement aujourd’hui, une cafétéria, un salon de thé que nous pourrions aménager dans le pavillon qui se trouve dans le jardin, ce serait très apprécié surtout aux beaux jours !

N.E. : Comment allez-vous pouvoir conjuguer votre propre travail d’artiste avec cette importante fonction de directeur du musée Marmottan Monet ?
É.D. : Entrer à l’Académie est un engagement et, comme mes consœurs et confrères, je suis investi dans nombre de missions portées par elle : au sein du conseil artistique de la Casa de Velázquez, ce qui m’amène à me rendre plusieurs fois par an à Madrid, en participant aux jurys de plusieurs prix, le Prix de Dessin Pierre David-Weill, le Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière, en supervisant depuis sa création en 2013 l’organisation du Prix de Gravure Mario Avati. Depuis 2006 je préside également une très ancienne association d’artistes, fondée en 1889 par Degas, Rodin, Eugène Carrière et Félix Bracquemont, la Société des Peintres Graveurs qui organise tous les deux ans une exposition de ses membres et publie des catalogues. J’ai donc l’habitude de me situer sur plusieurs terrains différents... Reste que la question du temps peut se poser. Mais je sais aussi que plus on a de choses à faire, plus on en fait, l’une entraînant les autres... Contrairement à ce qu’on croit, le temps est assez élastique. Le fait d’être à la tête de ce musée est dynamisant et me stimule, et je remercie mes consœurs et mes confrères de la confiance et de l’honneur qu’ils me font en me demandant d’assumer une telle responsabilité. ■