La maîtrise Notre-Dame de Paris, entre héritage et création

Par Simon Cnockaert, directeur de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris de 2006 à 2013.

La musique et le chant font partie intégrante de la vie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. C’est alors même que s’élevaient les voûtes en ogive, lancées en plein ciel pour constituer le chœur de l’église, que naissait l’Ecole de Notre-Dame et ses grandes polyphonies. À l’audace des bâtisseurs de cathédrales gothiques, qui concevaient des architectures toujours plus hautes et plus claires, répondait celle des musiciens. Depuis lors, la tradition musicale de Notre-Dame de Paris s’est maintenue au plus haut niveau et chaque génération est venue apporter sa pierre au prestigieux édifice que constitue l’histoire musicale de ce haut-lieu.

 

On peut dire que Notre-Dame de Paris a été l’un des foyers principaux de l’avènement de la polyphonie, cet art de la superposition de plusieurs voix différentes, par opposition à la monodie qui prévalait jusqu’alors. L’habitude qu’avaient prise les moines ou les chantres d’improviser des voix parallèles au plain-chant (ou « chant grégorien ») donna alors naissance à l’organum. Les principales figures de ce bouleversement dans l’histoire de la musique occidentale furent Léonin (vers 1135-1210) et son successeur Pérotin, actif jusqu’en 1230, dont les œuvres, depuis Notre-Dame, rayonnèrent sur l’Europe entière. C’est la polyphonie qui est à la base de tout un pan de la musique occidentale, et c’est donc à Notre-Dame que cette grande histoire a commencé.

 

Dès le XIVe siècle, une maîtrise naît à l’ombre de la cathédrale : elle ne comptait alors que huit enfants de chœur et dix-huit voix d’hommes. Le règlement établi par le chancelier du chapitre Jean Gerson (1363-1429) fera loi jusqu’à la réforme laïque de 1807, astreignant les enfants à une vie quasi-monastique. En contrepartie, ils recevaient un enseignement musical complet et un enseignement général solide.

Sur ce terreau fertile va s’épanouir une tradition prestigieuse, et les siècles vont voir se succéder des maîtres de musique dont on retiendra quelques noms : Antoine Brumel, au tournant des XVe et XVIe siècles, qui apporta le souffle de la polyphonie franco-flamande, Abraham Blondet un siècle plus tard. Le Grand-Siècle, à Notre-Dame comme en bien d’autres lieux, fut celui de l’excellence et du prestige. Des personnalités comme Henri Frémart, Pierre Robert, André Campra, Jean-François Lalouette ou Jean-François Lesueur font une carrière qui les mène de Notre-Dame à la Chapelle Royale ou à l’Académie Royale de Musique. Chacun contribue alors à donner aux cérémonies de la cathédrale un éclat exceptionnel.

 

La Révolution française met un terme provisoire à cette tradition, mais la Maîtrise renaît dès 1807. Elle devient peu à peu une sorte de pré-séminaire, avec des effectifs qui iront jusqu’à une centaine d’enfants à la fin des années 1960. C’est cette Maîtrise que Paul Claudel entendit chanter le Magnificat, lors des Vêpres de Noël 1886, lorsqu’eut lieu le choc de sa conversion.

 

Il n’est pas inutile de rappeler ici la définition du mot « maîtrise » donnée par le Larousse : « école où l’on forme les enfants au chant ; chorale attachée à cette école ; ensemble de chantres d’une église ». Les maîtrises sont traditionnellement liées à l’Église, et elles étaient, sous l’Ancien Régime, les seules structures d’enseignement musical. Les enfants y recevaient un enseignement général et musical, ce dernier allant jusqu’à la composition. Chaque cathédrale ou grand lieu de culte possédait donc sa maîtrise. La Révolution a supprimé les maîtrises, au profit des conservatoires. La tradition du chant s’est donc peu à peu perdue au cours du XIXe siècle en France, à la différence de l’Angleterre où ce système a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Depuis une trentaine d’années, l’État a mené une politique volontariste dans ce domaine, conscient de la spécificité de l’enseignement prodigué dans les maîtrises et du vivier qu’elles constituent pour la pratique du chant choral.

Il est à ce propos intéressant de citer le texte paru en novembre 1991 dans le périodique de la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles du Ministère de la Culture et de la Communication : « La politique d’aide aux maîtrises est au cœur du dispositif national de rénovation de l’enseignement musical engagé au début des années 1980. Le chant est une voie privilégiée d’apprentissage de la musique et des pratiques musicales. Convenablement éduquée, la voix de l’enfant permet une expression musicale à nulle autre comparable. La formation maîtrisienne offre en outre une formation complète, qui ne ferme aucune orientation à l’enfant, tout en lui donnant les moyens de poursuivre, ultérieurement, une formation musicale professionnelle, vocale ou instrumentale. Cet engagement du Ministère en faveur des écoles maîtrisiennes permet à notre pays de renouer avec un des plus hauts modes de formation, de diffusion et d’expression musicale que l’Occident ait produit : le chant choral. »

 

C’est donc dans ce contexte que fut créée en 1991, à l’initiative de l’Etat, de la Ville de Paris et de l’Association diocésaine de Paris, et sous l’impulsion du Cardinal Lustiger, une nouvelle structure, Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris. Chargée de l’ensemble des activités musicales de la cathédrale, elle a pour missions essentielles l’enseignement musical et la formation des chanteurs, l’animation musicale des célébrations liturgiques, l’organisation de concerts et auditions, la recherche musicologique autour du patrimoine de Notre-Dame de Paris, la diffusion et la création musicales.

Un dispositif vocal et instrumental très complet est mis en œuvre au service de ces missions. L’élément central en est la Maîtrise Notre-Dame de Paris. La diversité des disciplines enseignées ainsi que celle des répertoires abordés, qui ne se limitent pas, loin s’en faut, à la musique sacrée, le suivi pédagogique de chaque chanteur (par une équipe riche de près de vingt professeurs), l’ouverture à de nombreux partenariats pédagogiques et artistiques, font de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris une structure unique en France où pédagogie et production, liées à un lieu emblématique, s’enrichissent mutuellement.

 

La Maîtrise est aujourd’hui dirigée par Henri Chalet (après Michel-Marc Gervais, Nicole Corti et Lionel Sow), Emilie Fleury (chœur d’enfants), Sylvain Dieudonné (chant grégorien et musique médiévale). Le nombre d’heures de cours hebdomadaires varie selon les niveaux de 12h à 16h, auxquelles s’ajoutent les répétitions de chœur. Les élèves sont scolarisés dans une école primaire et un collège-lycée partenaires où ils suivent leurs cours le matin et sont présents à la Maîtrise l’après-midi, selon la formule du mi-temps pédagogique. La Maîtrise dispense aussi un enseignement pré-professionnel à plein temps pour de jeunes adultes, sanctionné par le Diplôme d’Etudes Musicales de la Ville de Paris, en lien avec le réseau des conservatoires parisiens, et un enseignement professionnel en partenariat avec le Pôle d’Enseignement Supérieur de Paris – Boulogne-Billancourt et l’Université Paris-Sorbonne.

 

Les différents chœurs de la Maîtrise, constituée d’environ soixante-dix chanteurs, donnent une trentaine de concerts par an, principalement à la cathédrale Notre-Dame de Paris, mais aussi en France et à l’étranger. Son répertoire est très vaste, allant du chant grégorien et des premières polyphonies de l’École de Notre-Dame jusqu’à la création contemporaine, très présente dans sa programmation (rappelons la commande et la création en 2013, à l’occasion de la célébration des 850 ans de la cathédrale, des Vêpres à la Vierge de Philippe Hersant, et celle du Livre de Notre-Dame, constitué de douze motets et d’une Messe brève à quinze compositeurs français) en passant par les grandes œuvres du répertoire sacré.

 

Toutes ces activités font de Notre-Dame de Paris un foyer d’enseignement, de diffusion et de création musicale, fort d’une tradition pluriséculaire, donnant aux multitudes de visiteurs, croyants ou incroyants, l’occasion de vivre en ce lieu une expérience artistique unique. 

www.notredamedeparis.fr

Le Chœur d’enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris délivre une formation musicale complète de haut niveau par la pratique du chant. Photo © J.B. Millot
Le Chœur d’enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris délivre une formation musicale complète de haut niveau par la pratique du chant. Photo © J.B. Millot
Le Chœur d’enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris : tous les répertoires sont abordés, de la musique médiévale à la musique contemporaine, tant dans le domaine de la musique profane que dans celui de la musique sacrée. Photo © J.B. Millot
Le Chœur d’enfants de la Maîtrise Notre-Dame de Paris : tous les répertoires sont abordés, de la musique médiévale à la musique contemporaine, tant dans le domaine de la musique profane que dans celui de la musique sacrée.
Photo © J.B. Millot