« L’artiste foudroyé », une version en devenir

Par Jean Anguera, membre de la section de sculpture de l'Académie des beaux-arts

[article issu de la Lettre de l'Académie n°102, L'artiste foudroyé]

 

Jean Anguera, Paysage traversé, huile sur toile, 2023, 74 x108cm. Collection particulière.
Jean Anguera, Paysage traversé, huile sur toile, 2023, 74 x108cm. Collection particulière.

 

Dans le ciel de l’art il y a des orages, des saisons favorables où le bleu domine, mais d’autres défavorables, tumultueuses, changeantes, froides, qui pèsent sur les épaules tremblantes.

L’artiste est à découvert. Sait-il si la foudre frappe au hasard ? Il vivra un moment intense d’illumination avant de se transformer en cendres, en un petit tas rapidement érodé par le vent.

L’artiste a-t-il de véritables arguments pour avoir choisi d’être artiste ? Peut-être voulait-il seulement céder à sa passion du dessin, de la sculpture, de la couleur, des sons ou de la danse ? Ressentir ne suffisait pas. Il fallait cet échange avec la réalité : la prendre, la délier, la recréer ; la présenter, la représenter, en somme mettre la vie dans la vie.

La vie est dehors au soleil, sous la pluie. Elle a faim, elle a froid, elle entre en nous se réfugier au milieu de notre épaisseur, au milieu de notre opacité et de notre chaleur humaine. Elle ressort transformée en un chant artistique. Sa forme s’installe dans nos appartements. Elle écarte ce qui ne lui convient pas. Presque tout. La voilà au Musée. Nous sommes en droit de nous interroger. Aurait-elle fonction de paratonnerre ? Nous la regardons comme un fétiche, un talisman, comme une relique sainte. Pourquoi ne pas la voir comme une idole dont le maître se serait absenté momentanément ? Nous nous sentons secrètement concernés. Il ne faut donc pas la briser en iconoclaste. Il est conseillé de se laisser porter par la lecture qu’elle nous propose – qui ressemble à celle que nous souhaitons. Il est préférable de ne pas toujours faire attention à elle.

Ah, nous voici plus à l’aise ! Le vent a enfin dispersé les restes fuligineux de l’artiste. Un passant a peut-être donné, sans s’en apercevoir, un coup de pied dedans.

L’artiste a tracé le chemin qu’il a suivi. Il a dessiné un paysage pour le contempler. Il a joué les notes de sa musique au milieu du chant d’un oiseau, du bruissement du vent dans les arbres. Il est l’oiseau, il est le vent et les arbres. Il a confondu sa sculpture avec les rochers, les falaises ou l’éboulement des collines, le désir avec la partie émergée d’un récif, l’amour avec une île.

Sur la terre de l’art, de multiples chemins parcourent l’infinie variété du relief. Certains sont presque droits et régulièrement plats, d’autres tout au contraire ressemblent à des labyrinthes à flanc de montagne. Il y a des déserts et il y a des villes surpeuplées. Dans le silence du désert personne n’est là pour écouter l’artiste. Les bruits de la ville couvrent sa parole et personne ne l’entend. C’est pourquoi l’artiste est un marcheur. Il espère trouver le lieu, le moment, les circonstances où il sera entendu, où il sera écouté.

Le silence s’est fait juste avant l’éclair et il est tombé tout doucement en poussières parmi les poussières.

Définition de l’artiste : un trait d’union entre la terre et le ciel.

Définition de la foudre : la rencontre soudaine de la terre et du ciel, à la vitesse de l’éclair.