Les calligrammes d’Apollinaire

Par René Quillivic, membre de la section de Gravure

Avec Gutenberg et la vulgarisation de l’imprimerie, la typographie devient un métier avec ses techniques ; l’alignement des caractères s’inscrivant dans la forme quadrangulaire de la page, tel le laboureur dans son champ creusant ses sillons parallèles.

Autour des années mille neuf cent, des poètes dont Guillaume Apollinaire tentent de s’évader de la rigueur conventionnelle en faisant éclater la mise en page. Ils bouleversent la typographie en associant forme et idée... Dans le poème Il pleut, les lignes imprimées deviennent obliques, presque verticales, comme la pluie elle-même. La typographie devient un dessin. Un exemple emblématique peut en être le calligramme La cravate et la montre qu’il qualifiait lui-même de « nature morte ».

Il écrivait, dans une lettre à André Billy : « Quant aux calligrammes, ils sont une idéalisation de la poésie vers-libriste et une précision typographique à l’époque où la typographie termine brillamment sa carrière à l’aurore des moyens nouveaux de reproduction ». Les calligrammes et les inventions d’Apollinaire demeurent les témoins d’une époque d’effervescence dans tous les domaines de l’esprit de la plastique à la musique. C’est l’époque du dadaïsme, du cubisme, la découverte des arts africains, la naissance du surréalisme.

Cette nécessité de l’anti conventionnel conduit à toutes les audaces. Certains calligrammes sont parfois de véritables rébus pas toujours faciles à interpréter. Ainsi dans La cravate et la montre, l’écrivain Michel Butor nous donne une fine interprétation des chiffres inscrits sur le cadran : Un : mon cœur ; Deux : les yeux ; Trois : l’enfant ; Quatre : Agla ; Cinq : la main ; Six : tir cis ; Sept : semaine ; Huit : l’infini redressé par un fou de philosophe ; Neuf : les muses aux portes de ton corps ; Dix : le bel inconnu ; Onze : et le vers dantesque luisant et cadavérique ; Douze : les heures. Ce décryptage ne saurait déplaire aux mânes d’Apollinaire qui était un fervent des cunéiformes et autres caractères chinois.

Guillaume Apollinaire, La cravate et la montre, Calligrammes, 1918.
Guillaume Apollinaire, La cravate et la montre, Calligrammes, 1918.