Lumières et objets

Par Marc Jeanclos, supports et mise en espace d'objets d'art.

Newton démontre en 1666 lors d’une expérience que l'ensemble des couleurs du spectre optique sont contenues dans un seul rayon de lumière blanche.

L'analyse et la compréhension physique de la lumière sont alors sérieusement engagées.

Voltaire note, en 1738, dans Éléments de philosophie de Newton :

« Le compas de Newton mesurant l’univers,

Lève enfin ce grand voile & les cieux sont ouverts.

Il déploye à mes yeux par une main savante,

De l’astre des saisons la robe étincelante.

L’émeraude, l’azur, le pourpre, le rubis,

sont l’immortel tissu dont brillent ses habits.

Chacun de ses rayons dans sa substance pure,

porte en soi les couleurs dont se peint la Nature,

Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,

ils animent le Monde, ils emplissent les cieux. »

 

La lumière si présente dans notre existence nous invite à observer, à comprendre.

On constate de jour comme de nuit l'importance de la nature, la qualité, la couleur, la puissance, la pertinence de l'éclairage au quotidien.

D'une lumière à l'autre, sans trop de difficulté, nos yeux s'adaptent aux diverses intensités.

Nous avons inventé les outils techniques et esthétiques créant, lors des périodes nocturnes, des sources de lumières artificielles de substitution.Ces lumières, qu'elles soient naturelles ou artificielles, offrent une infinité de moments d'observations.

Les artistes, dessinateurs, peintres, sculpteurs, photographes, cinéastes et l’ensemble des créateurs permettent de marquer ces instants dans la mémoire collective. Ils observent les formes, les couleurs, les ombres et lumières, tracent, gravent, peignent, sculptent, photographient, filment, exercice subtil et personnel capable de transmettre durablement une vision unique de ces instants privilégiés.

Dans toutes nos activités, la lumière reste le maître de cérémonie.

Concernant la présentation des œuvres d'art, domaine dans lequel j'exerce depuis de longues années, créant mobiliers, supports d'œuvres, espaces de présentation, je suis amené à collaborer régulièrement avec des institutions, des scientifiques, des artistes. L’objectif est de montrer, de la meilleure manière qu'il soit, collections, travaux et créations. La réussite de ces collaborations dépend en grande partie de la justesse et de la qualité du traitement de l'éclairage, qui doit être intégré dès la définition des projets. La touche finale permet de voir ou ne pas voir ; et de prêter une attention fondamentale à ce que l'on tente de nous montrer.

L'architecture a son importance ; par ses ouvertures, elle peut permettre d'éviter l'apport de lumières artificielles, de créer et définir l'endroit idéal où pourrait être présenté un objet selon la lumière naturelle existante.

Dans la culture japonaise traditionnelle, il existe dans l'habitat un espace de cet ordre, destiné à accueillir spécifiquement un ou plusieurs objets : le Tokonoma, espace de respect de l'objet au regard de la lumière et de l'architecture.

 

Ma préférence va aux présentations muséographiques utilisant la diffusion de lumière, qu'elle soit naturelle, artificielle ou parfois mixte.

L'intensité modérée est particulièrement confortable pour l'observation des collections.

Je pense tout particulièrement à la Neue Nationalgalerie de Berlin, bâtiment de Mies Van der Rohe. La partie supérieure, de verre sur toute la hauteur surmontée par un plafond d'acier tenu par des supports d'acier, et les expositions temporaires au rez-de-chaussée, bénéficient de la lumière naturelle. Les salles d'expositions permanentes sont, elles, en sous-sol accessible de l'intérieur par deux grands escaliers. Les œuvres sont éclairées par une lumière diffuse conçue et installée dès l'origine dans les plafonds techniques.

D'autres apports d'éclairage relevant du spectacle sont tout aussi sensibles.

Il est alors question d'isoler visuellement les objets, de créer des écrins de lumière, dans une mise en espace qui relève du spectaculaire touchant particulièrement l’événementiel.

Je me rappelle en particulier de l'intervention d'un éclairagiste de théâtre et de cinéma qui, dans la Grande Galerie de l'Évolution, a étudié et mis au point, en guise de plafond, un système d'éclairage surplombant la caravane des animaux. Ce dernier reconstituait, sur une durée de visite relativement courte, l'ensemble des cycles lumineux correspondant à une journée complète.

Nous étions au début des années 1990 et l'intégration d'une nouvelle technologie d'éclairage par fibres optiques était engagée.

Par cette nouvelle approche, l'éclairage participe activement à la mise en espace des collections dans des cadres privés ou institutionnels.

Nous disposons aujourd’hui d'un matériel performant, résultat d'inventions scientifiques et techniques successives, de sources lumineuses et de matériels optiques de plus en plus sophistiqués et maîtrisés. Avec nos connaissances actuelles de la lumière, en évolution permanente, beaucoup de possibilités s'offrent à nous.

Aussi est-il plutôt question de choix et de décisions pour faire évoluer ce métier, initier de nouvelles méthodes d'analyse et de travail, former des nouvelles générations à l'utilisation de technologies au service de la mise en lumière, non seulement pour l'éclairage des objets mais, de manière plus générale, pour notre existence même. ■

 

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.

 

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

 

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,

Polissez-le sans cesse, et le repolissez,

Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

 

Boileau - L'Art Poétique, 1674

 

www.jeanclos.com

La Neue Nationalgalerie, musée d’art moderne, à Berlin, Ludwig Mies van der Rohe, architecte (1968). Photo Priscillya Antolinez
La Neue Nationalgalerie, musée d’art moderne, à Berlin, Ludwig Mies van der Rohe, architecte (1968).
Photo Priscillya Antolinez