À propos du film « Eiffel »

Par Jean-François Belhoste, directeur d'études en sciences historiques

et philologiques à l'École Pratique des Hautes Études

 

Image extraite du film Eiffel (2021)
Image extraite du film Eiffel (2021) de Martin Bourboulon, avec, dans les rôles principaux, Romain Duris et Emma Mackey. 
Production VVZ Production - Pathé Films

 

Pour une fois, voici un film dont le héros n’est ni un homme politique, ni un militaire, ni un écrivain, mais un ingénieur. Un ingénieur, il est vrai peu ordinaire, célèbre pour sa Tour et qui, ce qui n’est pas habituel chez les gens de sa profession, a su de son vivant se « vendre » grâce à son sens aiguisé de la publicité. Certains pourrait penser qu’il n’était pas à proprement parler un ingénieur mais un entrepreneur qui avait surtout le talent de mettre en valeur les compétences de ses collaborateurs, qui eux étaient des vrais ingénieurs. Le film à juste titre prouve le contraire. Comme on est au cinéma, il fallait une romance. Elle s’appuie sur la relation qu’Eiffel aurait entretenue sa vie durant avec la fille d’un entrepreneur de Bordeaux, Jean-Marcellin Bourgès, qu’il aurait connue lors de son premier grand chantier, la construction au-dessus de la Garonne d’un grand pont ferroviaire, entre 1858 et 1860. Fiction ou réalité ? Peu importe, elle a permis à la scénariste Caroline Bongrand et au réalisateur Martin Bourboulon d’imaginer un fil conducteur qui leur permette de transporter le spectateur à deux époques cruciales de sa carrière : la construction de ce pont de Bordeaux, trois ans à peine après sa sortie de l’École Centrale en 1855, et bien sûr celle de la Tour, depuis les premiers projets jusqu’à la fin du chantier en 1889.

De belles reconstitutions en couleur – qui contrastent avec les dessins et photos noir et blanc d’autrefois – nous permettent de voir, de façon réaliste et souvent impressionnante, un Eiffel à l’œuvre, interprété de façon plutôt convaincante par Romain Duris. Le film montre aussi, pour ce qui est de la Tour, le travail effectué dans l’usine de Levallois. Et des vues saisissantes du Paris de l’époque, notamment celles du Champ de Mars avec la Tour en construction, et à l’arrière-plan l’ancien Trocadéro de Jules Bourdais et même les cheminées fumantes des usines de Javel. On y découvre aussi les expériences préalables conduites sur la résistance de l’air ou l’effet de la foudre, démontrant que la Tour fonctionnerait comme un gigantesque paratonnerre. L’usage méticuleux qu’Eiffel faisait pour ses fondations d’un système de caissons souterrains utilisant l’air comprimé nous vaut une dramatique scène, pleine de vacarme. Sont mis encore à l’honneur, il est vrai brièvement, les avantages du rivetage permettant un montage rapide comme un mécano. Et aussi, grâce précisément à l’emploi du rivetage, la difficulté qu’il y aurait à démonter l’édifice comme il était prévu avant 1910. Apparaissent enfin, furtivement, des ouvriers en train de revêtir la dame de fer d’une peinture chocolat, la première dont elle bénéficia avant de changer de multiples fois de couleur. Pour les besoins de l‘intrigue, Eiffel se voit esquisser dans son bureau de Levallois, de multiples projets de tour en forme de A, l’initiale d’Adrienne Bourgès. En fait il ne dessinait pratiquement pas, il n’aimait même pas trop ça, et en laissait le soin à l’armée de dessinateurs qu’employait l’entreprise. Quoi qu’il en soit, lui qui fut à ses débuts l’un des principaux actionnaires de Gaumont aurait été sûrement ravi de se voir ainsi campé en héros de cinéma !