Un projet d’une ambition inégalée

Entretien avec Bénédicte Alliot, directrice générale de la Cité internationale des arts de Paris

Propos recueillis par Nadine Eghels

 

Cité internationale des Arts - Vue de la coursive, site du Marais.
La Cité internationale des Arts, vue de la coursive, site du Marais. Photo Maurine Tric
 

 

Nadine Eghels : Comment est née la Cité internationale des arts de Paris, en quoi consiste-t-elle exactement ?

Bénédicte Alliot : La Cité internationale des arts est une résidence d’artistes. Elle existe depuis le début des années 1960. Le projet est né peu avant la guerre, laquelle a interrompu la réflexion autour d’une résidence qui pourrait accueillir des artistes du monde entier et des artistes français à Paris, dans des conditions dignes, pour qu’ils puissent travailler et vivre dans des espaces adaptés.

La Cité se déploie aujourd’hui sur deux sites : le site du Marais, qui a vu le jour au début des années 1960, et un deuxième site, situé à Montmartre, dont la ville de Paris est propriétaire et dont nous sommes locataires depuis 1971.

 

N.E. : Quand êtes-vous arrivée à la direction générale de la Cité ?

B.A. : Je suis arrivée en fonction en mars 2016 et avec le Président Henri Loyrette, membre de l'Académie des beaux-arts, nous avons mis en place un nouveau projet d’établissement : nous sommes dans un vaste chantier de transformation, de modernisation de la Cité. Cela se traduit notamment par la restauration des ateliers, mais aussi par le renforcement, ou plutôt la refonte, du dialogue avec nos partenaires, dont l’Académie des beaux-arts.

 

Vue du bâtiment principal, site du Marais.
Vue du bâtiment principal, site du Marais. Photo Maurine Tric

 

La Villa Radet, site de Montmartre de la Cité. Photo Maurine Tric
La Villa Radet, site de Montmartre de la Cité. Photo Maurine Tric

 

N.E. : En quoi consiste ce partenariat avec l’Académie des beaux-arts ?

B.A. : L’Académie des beaux-arts est un partenaire fondateur de la Cité, laquelle est, pour mémoire, une fondation privée reconnue d’utilité publique.

Cette fondation est le fait d’une personne, Félix Brunau, inspecteur général des bâtiments civils et palais nationaux, puis de son épouse Simone Brunau, qui furent de grands agents au service de l’État et du pays (notamment dans la Résistance). Ce projet est donc né dans l’esprit de Félix Brunau avant la guerre, précisément depuis l’exposition universelle de 1937. Aussitôt après la guerre, il s’est rapproché des pouvoirs publics afin de bénéficier d’un accompagnement autour de la réflexion et de la conception, par des acteurs divers : la Ville de Paris, le Ministère de la culture dès ses débuts avec André Malraux, et aussi par l’Académie des beaux-arts – et plus largement l’Institut de France –, qui sera un véritable partenaire dans la fondation de la Cité.

Le projet était précurseur, il n’y avait pas de résidences d’artistes comparables dans d’autres pays. C’était, et c’est toujours, un projet d’une ambition inégalée, accompagné de manière remarquable par des acteurs très divers. À l’époque, c’est un projet unique, à Paris, la grande capitale internationale des arts, et ce soutien avéré lui confère aussi une légitimité.

De fait, l’Académie des beaux-arts participe à notre conseil d’administration depuis la création de la Cité et donne un appui bienveillant et attentif dès le début à son élan.

Viendront ensuite les soutiens d’institutions étrangères, des ministères de la culture mais aussi des académies des beaux-arts ou de musique du monde entier. S’il y a toujours eu à la Cité internationale des arts des artistes recommandés par l’Académie des beaux-arts, c’est assez tardivement que celle-ci acquiert officiellement un droit de présentation : seulement au début des années 90.

 

N.E. : Qu’en est-il aujourd’hui ?

B.A. : Aujourd’hui, nous accueillons deux artistes qui sont présentés chaque année environ par l’Académie des beaux-arts. Cette collaboration est en pleine évolution, nous réfléchissons en effet à donner un nouveau souffle à notre coopération.

 

L’atelier de JP Mika sur le site Montmartre. Photo Maurine Tric
L’atelier de JP Mika sur le site Montmartre. Photo Maurine Tric

 

N.E. : Comment s’opère la sélection des artistes étrangers qui viennent à la Cité ? Sont-ils choisis par leur propre pays ou la Cité intervient-elle dans la sélection ?

B.A. : La Cité est un véritable millefeuille, notamment sur le plan des partenaires, qu’ils soient étrangers ou français, privés ou publics.

Jusqu’à mon arrivée, et celle de notre président Henri Loyrette, il n’y avait pour ainsi dire pas de co-sélection, et cela nous empêchait d’accompagner correctement des artistes venant du monde entier, y compris les Français. Nous avons alors suggéré à nos quelques 120 partenaires de sélectionner ensemble les artistes à qui ils souhaitent proposer une résidence à la Cité.

Dès lors, nous nous sommes attelés à un travail magistral de reprise de lien politique, mais aussi technique, afin de convaincre tous nos partenaires du gain qualitatif dans l’accompagnement de « leurs » artistes. D’autant que ces artistes viennent pour des périodes assez courtes, de deux mois à un an.

Notre souhait est de revenir aux fondamentaux de la Cité : elle n’est pas un centre d’hébergement pour artistes, mais un centre de résidences d’artistes, de toutes générations, toutes nationalités et toutes disciplines : cet engagement a un écho positif pour nombre de nos partenaires.

La dimension multidisciplinaire est d’ailleurs fondamentale dans l’accompagnement, car nous tenons à décloisonner les pratiques (arts visuels, écritures, musique, architecture, spectacle vivant, etc.). Nous faisons en sorte que les artistes puissent rencontrer leurs pairs en termes de discipline, mais qu’ils puissent aussi rencontrer des praticiens totalement différents.

 

La Cité en chiffres

 

N.E. : Quelle est la durée moyenne de résidence à la Cité ?

B.A. : Sur tous les artistes que nous accueillons dans l’année (325 simultanément, et environ 1200 par an), la durée moyenne de résidence en 2019 était de quatre mois et demi. Ce qui passe très vite quand on est à Paris !

Un·e artiste vient pour se consacrer à un projet spécifique, où la recherche peut prendre une place importante ; il·elle a un réseau à créer ou à consolider ; Paris a une offre culturelle inégalée dans le monde... cela fait beaucoup de choses en quelques mois seulement. Là aussi l’accompagnement de la part de notre équipe, mais aussi de tout le réseau de partenaires que nous avons mis en place, est une valeur ajoutée à la résidence de chacun·e.

 

N.E. : En quoi cette nouvelle coopération avec l’Académie des beaux-arts consistera-t-elle ? Et qu’avez-vous appris ?

B.A. : Nous avons souhaité renouer un lien qui avait été un peu distendu et nous avons pu le faire de manière très agréable et constructive avec le Secrétaire perpétuel et les équipes de l’Académie. Même si la relation de confiance entre l’Académie et la Cité ne s’est jamais démentie, nous avions tous besoin de l’éprouver. Et surtout de réapprendre à nous connaître. Nous sommes ainsi repartis dans un dialogue fructueux, et bénéficions d’une écoute bienveillante.

Un exemple tout récent : pendant le premier confinement, nous nous sommes tournés vers l’Académie des beaux-arts pour demander de l’aide car un nombre important d’artistes s’étaient trouvé contraints de rester en France, et donc à la Cité, et d’autres, étrangers ou français, étaient en résidence chez nous à ce moment-là. Ils étaient là, souvent précarisés, à la fois protégés et en capacité de continuer à travailler, traversant cette période très étrange et pour certain·es éprouvante. L’Académie des beaux-arts a tout de suite répondu et nous a apporté un soutien de 45 000 euros que nous avons redistribué en bourses de 750 euros à soixante d’artistes. Ce n’est pas simplement un geste, c’est une relation qui nous a permis d’aider ensemble les artistes à ce moment critique.

Approfondir notre relation va de pair avec l’évolution de l’Académie en elle-même, qui aujourd’hui accorde une plus grande visibilité à davantage de pratiques. Cela nous a donné envie de refonder la relation de ce partenariat historique, de recommencer sur des bases nouvelles, où nous pourrons faire grandir les résidences proposées par l’Académie en co-construisant un programme de résidences. Refonder et donner plus de visibilité à notre relation. C’est dans ce sens que nous avons discuté du transfert des ateliers attribués à l’Académie vers le site de Montmartre, où il y en aura davantage que dans le Marais.

 

N.E. : Combien d’ateliers y aura-t-il ?

B.A. : Il y aura quatre ateliers qui seront totalement rénovés par l'Académie des beaux-arts, et l’idée est de co-construire ces programmes de résidences dans le choix des artistes comme dans l’accompagnement tant financier que moral.

 

N.E. : Quelles seront les disciplines artistiques concernées par ces quatre ateliers ?

B.A. : Cela reste très ouvert, avec une prédominance en arts plastiques et visuels.

Nous avons beaucoup échangé sur la pertinence d’un atelier de musicien. Nous en avons plusieurs dans le Marais, moins à Montmartre. Mais la rénovation exigée pour aménager un atelier de musicien serait très dispendieuse.

Il nous semblait donc préférable de donner la priorité aux arts visuels, d’autant qu’il s’agit de grandes surfaces, avec de belles hauteurs sous plafond, des mezzanines etc., bref des ateliers architecturalement assez classiques mais qui répondent vraiment aux besoins des plasticiens (les amateurs de musique peuvent venir travailler dans les studios de répétition de notre site du Marais).

 

Concert du groupe Manushan en mai 2019 sur le site du Marais. La violoniste et chanteuse Aïda Nosrat (Iran) et le guitariste Babak Amir Mobasher (Iran), en résidence à la Cité internationale des arts, invitaient, à l’occasion de ce concert, Patrick Goraguer, batteur/pianiste et Antonio Licusati, bassiste/contrebassiste. Photo Maurine Tric
Concert du groupe Manushan en mai 2019 sur le site du Marais. La violoniste et chanteuse Aïda Nosrat (Iran) et le guitariste Babak Amir Mobasher (Iran), en résidence à la Cité internationale des arts, invitaient, à l’occasion de ce concert, Patrick Goraguer, batteur/pianiste et Antonio Licusati, bassiste/contrebassiste. Photo Maurine Tric

 

N.E. : Y a-t-il une limite d’âge ?

B.A. : À la Cité, toutes les générations sont bienvenues, il n’y a pas de limite d’âge mais en revanche nous n’accueillons pas d’étudiants mais des post-diplômés, sauf pour les musiciens – nous avons des étudiants du Conservatoire par exemple –, car il est beaucoup plus simple pour un musicien de travailler douze heures par jour dans une résidence d’artiste que dans un appartement qui n’est pas insonorisé !

 

N.E. : Dans quelles langues tous ces résidents s’expriment-ils ?

B.A. : C’est une question très importante que nous portons à l’attention de nos 120 partenaires – qu’il s’agisse du français, ou de l’anglais notamment. Évidemment tous les résidents ne parlent pas le français, mais nous demandons que l’anglais soit parlé, au moins de manière approximative de manière à pouvoir communiquer. C’est une question prioritaire à l’égard de certains de nos partenaires, asiatiques par exemple, pour leur permettre de profiter au maximum de leur résidence : pour se connaître entre eux, dans leurs échanges avec les équipes et pour savourer davantage le quotidien parisien.

Nous ne manquons pas de rappeler à tout artiste entrant que nous lui offrons également la possibilité d’apprendre le français : outre les cours organisés au niveau municipal, nous avons à la Cité même des cours de conversation.

 

N.E. : J’imagine qu’il n’y a pas d’exigence de rendu, mais comment accompagnez-vous le travail même de vos artistes résidents à la Cité ? Y a-t-il une présentation prévue à l’issue de leur résidence ?

B.A. : Tout cela est variable. Nous disposons d’une galerie de 500 m2, d’une petite galerie et d’espaces extrêmement modulables qui peuvent être investis par les artistes souhaitant présenter leur travail.

Nous avons aussi un auditorium avec une très bonne acoustique, qui permet d’organiser non seulement des concerts ou des projections de films ou vidéos, mais aussi des débats d’idées, des rencontres entre artistes et commissaires d’expositions, etc. Nous y organisons aussi des événements avec nos partenaires, comme on a pu le faire avec le Fresnoy – studio national des arts contemporains.

Il y a aussi des ateliers portes ouvertes, ces temps-ci plutôt sous forme virtuelle, contraintes sanitaires obligent.

De la sorte, nous engageons les artistes à montrer leur travail dès leur entrée en résidence, afin de multiplier les interfaces non seulement avec les autres résidents, ce qui est crucial pour qu’ils se sentent bien à la Cité, mais aussi avec les professionnels. Nous organisons aussi une présentation, basée sur le volontariat, en fin de résidence... et nous accompagnons les plus fragiles dans cette démarche de restitution.

Il nous semble en effet primordial que l’artiste puisse non seulement montrer son travail, mais aussi en parler, nous l’encourageons à le faire, dès le début si possible, sinon en cours ou en fin de séjour. Cela fonctionne très bien.

Pour certains résidents, nous montons des entretiens professionnels, nous les faisons rencontrer des acteurs du monde de l’art (curateurs, galeristes, directeurs de centres d’art, etc.) qui peuvent les éclairer sur la manière de valoriser leur travail, et les aider à se constituer un réseau.

Nous avons aussi une mission de conseil : nous sommes avant tout un centre d’expérimentation, nous nous tenons à un endroit assez fragile de la création artistique et nous devons y rester, modestement.

 

Vue de l'exposition « Le syndrome d’Ulysse », de Luis Carlos Tovar (Colombie), lauréat des commissions Arts Visuels de la Cité internationale des arts, en juin 2019 sur le site du Marais. Photo Maurine Tric
Vue de l'exposition « Le syndrome d’Ulysse », de Luis Carlos Tovar (Colombie), lauréat des commissions Arts Visuels de la Cité internationale des arts, en juin 2019 sur le site du Marais. Photo Maurine Tric

 

N.E. : Avez-vous apporté des développements particuliers quant aux disciplines artistiques représentées à la Cité ?

B.A. : Nous avons beaucoup tenu à développer ce qui se rapporte à la parole, et aux écritures, qu’elles soient visuelles, cinématographiques, dramaturgiques. Non seulement nous avons des artistes du spectacle vivant, mais aussi des résidences d’écrivains, de critiques d’art. Par exemple, nous avons lancé en 2020, juste après le premier confinement, avec le Centre national des arts plastiques un programme de résidences de commissaires d’exposition qui sera renouvelé en 2021. Tout cela crée un dialogue constant et permet aux uns et aux autres de s’approprier, de structurer une parole. Et offre aux commissaires d’exposition la possibilité d’être en contact, en « frottement » avec la création émergente. De préparer demain.

 

N.E. : Il y a donc aussi un enjeu de transmission

B.A. : Oui, et dès l’origine il était fondamental... Le trésor de la Cité, c’est d’avoir en permanence 325 créateurs et créatrices de tous âges et toutes nationalités qui se côtoient. On peut y croiser des artistes très différents, qui sont à un moment particulier de leur parcours, qui souhaitent s’extraire de leur pratique quotidienne, qui sont dans un creux de la vague, qui viennent se ressourcer. Il y a aussi des artistes renommés, pas forcément très identifiés en France mais archi-connus sur la scène internationale, qui vont venir ici pour préparer une exposition en France, ou pour expérimenter autre chose, loin de leurs bases. Ainsi, nous avons fêté récemment à la Cité les 90 ans de James Barnor, photographe d’origine ghanéenne, vivant à Londres et très repéré dans le monde, un peu moins en France. C’est avec une galerie parisienne partenaire que nous avons souhaité l’accueillir pour quelques mois et il a été un passeur extraordinaire !

 

N.E. : Pour en revenir aux ateliers de l’Académie des beaux-arts, avez-vous une idée du planning des travaux ? Quand seront-ils accessibles ?

B.A. : Je ne peux évoquer un délai précis, mais les travaux avancent bien. Si nous n’avons pas de souci majeur, cette belle rénovation devrait se terminer au plus tard début 2022, et permettre ainsi la mise en place d’un nouveau programme de résidences : des perspectives réjouissantes pour les artistes, et pour les Parisiens.