Des cunéiformes à l’imprimerie nationale

Par René Quillivic, membre de la section de Gravure

« Verba volant, scripta manent ».

La parole s’envole, l’écrit demeure – cette maxime antique exprime bien le besoin inné de fixer l’idée par le signe, caractérisé par « l’homo sapiens » dans ses gravures et peintures rupestres.

Le pictogramme est l’ancêtre direct de l’écriture. Le répertoire graphique deviendra de plus en plus abstrait à mesure qu’il voudra exprimer l’équivalent du langage parlé, jusqu’à la naissance des alphabets.

La lente évolution de la civilisation de l’écrit atteindra son point culminant avec l’invention chinoise du papier et de l’imprimerie perfectionnée par Gutenberg et ses caractères mobiles au XVe siècle, inaugurant le multiple, avec ses maîtres imprimeurs qui détiennent le pouvoir de divulguer le savoir et les idées nouvelles – certains mêmes, pour échapper à la censure vont à l’étranger comme Plantin à Anvers.

Aujourd’hui, une technologie nouvelle et complexe a éliminé toute une frange d’opérations manuelles – mais pour autant la typographie traditionnelle n’est pas morte, elle perdure pour des impressions de haute qualité et des livres destinés à la bibliophilie. 

Quand notre ancêtre, l’homme de la grotte Chauvet, marchait sur l’argile fraîche de la rivière Ardèche, il laissait derrière lui un message : l’empreinte de ses pas ; un homme est passé par là ; il allait dans telle direction... de même pour les traces d’animaux de tous ordres.

Beaucoup plus tard, quand l’homme inventera l’écriture et la fixation de la pensée par des signes, il utilisera avec les cunéiformes l’empreinte d’un petit coin de bois dans l’argile qui une fois cuite devient impérissable. De même, les rouleaux babyloniens inaugurent le multiple.

L’écriture hiéroglyphique utilise conjointement le pictogramme et le signe avec une écriture cursive le hiératique et le démotique.

Le scribe est un personnage important qui détient le savoir. L’écriture alphabétique est née en Phénicie entre le XIVe et le XVe siècle avant J.C. et son usage se répand dans tout le Proche Orient.

Trente signes d’origine cunéiforme composent le premier alphabet de l’histoire humaine : l’ougarit au nord de la Phénicie au XIVe siècle, puis un alphabet simplifié de vingt-deux signes composé de consonnes. Les Phéniciens sont des marins et des commerçants, ils ont besoin d’un outil simplifié pour leurs activités. Du phénicien naîtra le grec avec son alphabet de vingt-quatre lettres dont les voyelles. Les latins héritiers des grecs composent cet aboutissement : la « capitalis romana », l’écriture actuelle.

Possesseur de l’écriture, l’homme utilise pour support le produit des trois règnes de la nature, le minéral, le végétal, l’animal, de l’os à la cire d’abeille.

Dès le troisième millénaire, les égyptiens utilisent le papyrus (tiges et feuilles), qui après préparation donne un support léger, en feuilles et en rouleaux. Par la suite, ils traient les peaux d’animaux, veau, agneau, chèvre... c’est le parchemin, une sorte d’industrie du livre prend vie lentement (à Rome, Atticus édite Cicéron).

Après les invasions barbares et la chute de l’Empire, le savoir se réfugie dans les monastères, et c’est le florilège des manuscrits enluminés, psautiers et livres d’heure, pour une noblesse qui bientôt élargira sa demande ; tel le Duc de Berry avec les frères de Limbourg ou les heures d’Etienne Chevalier par Fouquet.

Pourtant, deux siècles avant notre ère, les chinois inventent le papier, à partir d’une bouillie de soie et de coton. Peu après, ils impriment des textes à l’aide de caractères d’abord d’argile, puis de bois, enfin de cuivre et de bronze.

Le premier texte imprimé connu comprend un ensemble de sept feuilles, le « Kaï-Yuan-Tsa-Bao » au VIIIe siècle. Cette invention recueillie par les arabes après la prise de Samarkand gagne l’Espagne musulmane, et progressivement l’Europe occidentale.

Pendant ce temps, le style de l’écriture évolue. C’est « l’Onciale » au IXe siècle puis la « Caroline » avec Charlemagne, au XIIe siècle, c’est l’écriture gothique.

A partir de 1400, on imprime des gravures sur bois, aux rares épreuves connues, c’est la « xylographie ». 

Puis, un certain Gensfleisch dit Gutenberg invente la « typographie » proprement dite, c’est-à-dire des caractères mobiles assemblés. Il imprime à Mayence en 1456 sa bible à 42 lignes et en 1457, le psautier de Mayence et toute l’Europe l’imite. Les livres imprimés avant 1500 sont appelés « incunables » du latin « incunabila » : origine.

En 1542, François Ier, créateur du Collège des « Lecteurs royaux », futur collège de France, charge son imprimeur, l’humaniste Robert Estienne, d’imprimer des textes en grec. C’est le graveur Garamont qui est chargé de l’opération. Ce dernier est déjà l’auteur, entre 1520 et 1530 du fameux « Latin » très apprécié à l’époque.

Les « Grecs du roi » de Claude Garamont marquent la naissance symbolique de l’Imprimerie royale dont Sébastien Cramoisy fut le premier directeur.

Près d’un siècle plus tard, Louis XIII rachète à Savary de Brève, ancien ambassadeur à Constantinople, sa collection de poinçons arabes, persans, turcs et syriens.

Plus tard, l’imprimerie s’enrichit de 80.000 caractères chinois, gravés de 1715 à 1740, appelée « Buis du régent ». Au total du Tifinag au Khmer, des hiéroglyphes hittites au Nabatéen, de l’éthiopien au Kharostri, du samaritain à l’arabe d’Avicenne, ce sont 72 écritures et 55 langues orientales qui composent le trésor typographique de l’imprimerie nationale.

En 1809, Napoléon demande à Firmin Didot de composer le « Romain de l’Empereur ». Dans le sillage de Didot suivront toute une série de nouveaux caractères jusqu’au Louis Gauthier en 1978.

Dans les locaux construits à la fin du dix-neuvième siècle, rue de la Convention, l’Imprimerie nationale continuait d’imprimer des livres avec des caractères d’époque d’une perfection technique inégalée.

J’ai eu le privilège de pouvoir réaliser dans ce lieu mythique le dernier ouvrage qui y fut imprimé, avant sa démolition et son transfert à Ivry. Il s’agit d’un livre d’artiste (où l’auteur du texte est également celui des gravures), la typographie n’étant pas toujours linéaire mais épousant des courbures ; le typographe découpe dans une feuille de métal le gabarit où viendront se caler les caractères.

Au jour d’aujourd’hui, le site d’Ivry étant abandonné, à son tour, tous ces trésors ont pris le chemin de Douai, où l’imprimerie disposait déjà d’un lieu plus vaste où elle exécutait sa production commerciale. 

Gravure de René Quillivic, extraite du dernier livre imprimé par l’Imprimerie nationale, à Paris, avant son transfert à Ivry. Typographie « ondulante » en caractères Gauthier.
Gravure de René Quillivic, extraite du dernier livre imprimé
par l’Imprimerie nationale, à Paris, avant son transfert à Ivry.
Typographie « ondulante » en caractères Gauthier.
Détail d’une tablette d’argile recouverte d’inscriptions cunéiformes en langue de la ville d’Ougarit (Syrie), xive siècle avant J-C.
Détail d’une tablette d’argile recouverte d’inscriptions cunéiformes en langue de la ville d’Ougarit (Syrie), xive siècle avant J-C.
Alphabet phénicien, médaille de C. Béréchel éditée par la Monnaie de Paris.
Alphabet phénicien, médaille de C. Béréchel éditée par la Monnaie de Paris.
Poinçon typographique de l’Imprimerie nationale. Photo C. Paput
Poinçon typographique de l’Imprimerie nationale. Photo C. Paput