La Maison-atelier Lurçat

Gérer un patrimoine d’exception

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Soucieuse de préserver l’œuvre du peintre-cartonnier Jean Lurçat (1892-1966), Simone Lurçat, sa veuve, a légué en 2010 à l’Académie des beaux-arts la Maison-atelier de l’artiste à Paris ainsi que les collections et le fonds d’archives qu’elle abrite. L’Académie a pour mission de préserver et de faire rayonner l’œuvre du peintre, grand rénovateur de la tapisserie, personnalité majeure de la vie artistique du XXe siècle et membre de l’Académie. La maison du peintre, construite en 1925 par son frère l’architecte André Lurçat, dans la cité d’artistes de la Villa Seurat (14e arr.), appartient aux chefs-d’œuvre parisiens du Mouvement moderne. Le programme de restauration avant l’ouverture au public s’attache à mettre en valeur l’architecture novatrice d’André Lurçat et à restituer le lieu de vie et de travail du peintre.

 

Maison-atelier Lurçat
À gauche : la Maison-atelier vers 1925, époque à laquelle elle fut construite par l’architecte André Lurçat (1894-1970) pour son frère Jean, qu’on peut apercevoir à la fenêtre du deuxième étage. La surélévation du nouvel atelier se fera vers 1929.
À droite : le projet de restauration par l'Agence h2o architectes.
Photo Maison-atelier Lurçat et Agence h2o architectes

 

La Maison-atelier Lurçat : redonner vie à un lieu

Entretien avec Jean-Michel Wilmotte, membre de la section d’architecture de l’Académie des beaux-arts, directeur de la Maison-atelier Lurçat
Propos recueillis par Nadine Eghels

 

Nadine Eghels : Vous êtes un architecte très occupé, avec des chantiers dans le monde entier. Comment en êtes-vous arrivé à assurer la direction de la Maison-atelier Lurçat, lieu de vie et de travail du peintre-cartonnier Jean Lurçat, et à conduire sa restauration Villa Seurat ?  

J.-M.W. : La Villa Seurat est un endroit magique. Cette cité d’artistes constitue, avec les deux villas édifiées par Le Corbusier, l’un des trois ensembles réalisés à Paris dans l’entre- deux guerres. Elle porte l’esprit d’une époque. J’aime surtout l’idée de faire revivre une maison et la vie qui s’y déroulait avec des architectes, des peintres, des poètes... Membre de l’Académie des beaux-arts, Jean Lurçat était un artiste polyvalent. Il passait de la peinture aux cartons de tapisserie, de la céramique au dessin, ou à la gravure. Un artiste complet, et très cohérent Un homme de goût. Il répondait aussi à des commandes, et même dans ces contraintes il arrivait à maintenir son exigence artistique. C’était la belle époque, le début du modernisme, et sa maison abritait tout cela. }

 

N.E. : Maison construite par son frère André Lurçat...

J-M.W. : Oui, l’une des sept maisons-ateliers réalisées par André Lurçat. Elle a été conçue en 1925 pour son frère Jean Lurçat et se situe au numéro 4 de la Villa Seurat dans le XIV e arrondissement de Paris. C’est une maison construite sans prétention mais avec rigueur, qui annonce le courant moderniste des années 30 et le Bauhaus. Mais contrairement à Mallet-Stevens par exemple, André Lurçat avait des préoccupations sociales, il imaginait des logements à la fois précurseurs et populaires. Il a conçu une maison pour un artiste de l’époque, qui y travaillait, et y recevait ses amis artistes et écrivains, avec un atelier et une imposante bibliothèque. Avec ce projet, il mettait en pratique ses réflexions transcrites cinq ans plus tard dans son manifeste Architecture. Il y posait l’objectif du fonctionnalisme développé à travers « la nouvelle technique » – emploi du ciment armé, entrée du végétal dans la construction, fenêtres de grande taille, usage de la couleur. Léguée par Simone Lurçat - avec les collections et le fonds d’archives - à l’Académie en 2010, elle a été classée monument historique en 2018.

 

Jean Lurçat. Photo DR
Jean Lurçat (1892-1966). Photo DR

 

N.E. : Comment avez-vous été amené à vous intéresser à Jean Lurçat ?

J-M.W. : Une grande exposition lui a été consacrée à la galerie des Gobelins en 2016, et nous avons assuré la scénographie. C’était la première rétrospective d’envergure à Paris depuis celle de 1958 au Musée national d’art moderne. Je me suis beaucoup intéressé à sa peinture d’abord, mais aussi à sa céramique, à ses dessins. De l’art décoratif plein d’élégance. Je me suis attaché à en sélectionner le meilleur, à le valoriser dans la présentation. En quelque sorte le « best of » de Lurçat ! Il était vraiment un artiste de son temps, et son œuvre en témoigne. En même temps sa recherche est très personnelle. En 2021, nous avons scénographié une exposition consacrée à son œuvre graphique, et l’Académie des beaux-arts m’a proposé de m’occuper de la restauration de sa Maison-atelier.

 

N.E. : Et vous en êtes devenu le directeur.

J-M.W. : D’emblée j’ai conçu cette mission comme un projet global. J’ai pensé qu’il ne suffisait pas de restaurer la maison mais qu’il fallait que l’Académie puisse acquérir également un local situé à l’angle de l’impasse, afin d’ouvrir une librairie et un lieu d’accueil pour les visiteurs, qui sont ensuite emmenés par groupes restreints dans la maison. Cela crée une petite équipe, avec un libraire, un gardien, et des enjeux nouveaux autour de ce lieu.

 

Le salon avec son mobilier d’origine. Photo Françoise Huguier
Le salon avec son mobilier d’origine. Photo Françoise Huguier

 

N.E. : Comment se déroulent les travaux de restauration ?

J-M.W. : Avec la section d’architecture, nous avons choisi l’équipe d’architectes h2o pour les assurer. Commencée en 2021, la restauration est en cours, avec quelques déconvenues liées aux dégradations plus importantes que nous ne l’avions supposé. Mais la Maison-atelier Lurçat ouvrira au public et aux chercheurs en 2025.

 

N.E. : Quel est l’esprit de cette restauration ?

J-M.W. : Le projet de restauration s’attache à mettre en valeur l’architecture novatrice d’André Lurçat et à restituer l’univers pictural de Jean. L’ambition est de recréer, en l’actualisant, l’ambiance dans laquelle il vivait et travaillait. Il ne s’agit surtout pas de faire une reconstitution poussiéreuse. Ouvrir la Maison-atelier au public implique de réhabiliter et redonner vie suivant un parcours de visite. En ce qui nous concerne, nous nous occupons de la scénographie, de la lumière et du mobilier.

 

N.E. : Que contiendra la maison ?

J-M.W. : Des œuvres de Lurçat que l’Académie possède déjà, d’autres que nous achetons afin de compléter les collections. Je chine et regarde les catalogues de ventes, et je trouve des objets surprenants et magnifiques, de la vaisselle, des bijoux, des livres de bibliophilie car il en a illustré beaucoup ! Et un fonds de plus de 1000 dessins, pour la plupart inédits, dont certains ont été exposés au Pavillon Comtesse de Caen à l’été 2021. Faire revivre un artiste en le rendant contemporain, voilà l’enjeu de ce projet. C’est-à-dire transposer la contemporanéité de son époque dans le monde d’aujourd’hui.

 

N.E. : Comment fonctionnera la librairie ?

J-M.W. : C’est pour moi un élément essentiel. La librairie sera gérée directement par l’Académie, avec un libraire, des archivistes, et bien sûr Xavier Hermel en charge depuis longtemps du site, il s’est beaucoup consacré à la diffusion de son œuvre. C’est une chance d’avoir une librairie sur place, et je souhaite aussi éditer des petits livres, accessibles à tous, relatifs à chaque discipline de cet artiste polyvalent : la tapisserie, la poterie, l’illustration... Il y aura aussi des objets empreints de son art. Il nous faut conserver ce qui appartient au lieu, mais le rendre vivant aujourd’hui. Y amener de la modernité, créer une unité englobant les œuvres d’art et les objets de la vie. Faire revivre l’homme qu’était Jean Lurçat, à travers la maison construite par son frère André, tout en le resituant parmi les grands artistes de son temps. 

 

Projets d’aménagement intérieur de la librairie. Illustrations DR
Projet d’aménagement intérieur de la librairie. Illustrations DR