La Villa Dufraine

Le soutien à la création  >  Les résidences artistiques

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L’Académie des beaux-arts possède depuis 1937 la Villa Dufraine, située dans le village de Chars (Val d’Oise), qu’elle a dédiée à l’accueil d’artistes en résidence. En 2022, elle a entrepris une restauration complète de la propriété dans le but d’accueillir dans les meilleures conditions les artistes d’aujourd’hui. Jean-Michel Othoniel, directeur de la Villa Dufraine, a souhaité proposer pour ce lieu un modèle de résidence inédit en accord avec l’esprit et la situation géographique du site.

 

Vue de la « villa des Pinsons », nom d’origine de la Villa Dufraine. Photo Patrick Rimond
Vue de la « villa des Pinsons », nom d’origine de la Villa Dufraine. Photo Patrick Rimond

 

Des artistes pour demain

Rencontre avec Jean-Michel Othoniel, membre de la section de sculpture de l’Académie des beaux-arts, directeur de la Villa Dufraine
Propos recueillis par Nadine Eghels

 

Nadine Eghels : Comment s’est inventé et concrétisé ce projet de résidence d’artistes à la Villa Dufraine à Chars ?

Jean-Michel Othoniel : D’abord avec cette idée de créer un collectif de jeunes artistes aux parcours et pratiques très différents, issus d’écoles d’art de toute la France. Parmi les différents projets que nous avons reçus, celui de Lou-Justin Tailhades était le plus cohérent par rapport à mes aspirations. En incluant une graphiste dans la résidence, de sorte que le catalogue se construise en même temps que les œuvres. Et en gardant une place pour des personnalités invitées. J’avais d’ailleurs prévu aussi trois autres résidences à la Villa Dufraine, dédiées à la gravure, à la photographie et à la composition musicale, avec des durées à la carte en fonction des projets, avec des générations différentes, venant enrichir le séjour des jeunes artistes et de leur curateur. Cette année cela n’a pas encore fonctionné car les ateliers n’étaient pas prêts, ils le sont désormais.

 

N.E. : Comment se présente le site ?

J-M.O. : C’est un site exceptionnel avec un grand parc, trois corps de bâtiments, le premier est celui qu’on a transformé en logements avec une cuisine commune où les résidents se retrouvent pour les repas. Dans le deuxième, ils ont chacun leur atelier qu’ils occupent quand ils veulent, même la nuit, sans déranger les autres. On a scindé le logement de l’atelier afin qu’ils aient une plus grande autonomie de travail. Chaque chambre est équipée d’une salle de bain, ils disposent donc d’un petit studio, de la salle commune et des salles de coworking qui sont destinées à leur conjoint éventuel.

 

N.E. : Avez-vous suivi ces énormes travaux ?

J-M.O. : Pendant deux ans, j’étais plutôt chef de chantier que directeur de villa, mais cela me convenait. J’ai aimé travailler avec ce groupe de jeunes architectes qui abordaient frontalement toutes les questions que pose l’architecture d’aujourd’hui. C’était très instructif pour moi de discuter avec cette génération que je ne connaissais pas, des constructeurs très exigeants quant à la durabilité des matériaux et à leur recyclage. Ils ont refait tous les ateliers et là ils ont bénéficié de mon expertise, de ma vision d’artiste.

 

La promotion 2023 autour de Jean-Michel Othoniel
la promotion 2023 des artistes en résidence autour de Jean-Michel Othoniel. DR

 

N.E. : Ensuite est venu le concours.

J-M.O. : Une nouveauté ! Ce concours était le premier car auparavant c’est Jean Cardot qui choisissait les artistes. Nous avons lancé un concours ouvert à des écoles d’art et universités ayant une section de curation liée aux arts plastiques. Il s’agissait de renverser le concept habituel de résidence : un comité sélectionne des artistes qui vont chacun travailler isolément pour finalement montrer leurs créations mises bout à bout. C’est-à-dire la présentation d’un travail en résidence, pas une exposition.  

Pour Chars, j’ai proposé de faire appel à des projets autour de l’idée de collectif. C’est en observant la jeune génération que j’ai eu cette idée. Sortant de l’école, les jeunes cherchent à se regrouper, à s’associer, à investir des lieux ensemble, ce qui n’était pas du tout le cas de ma génération où chacun suivait sa route personnelle. J’ai eu envie de favoriser cette dimension collective avec un thème d’exposition, laquelle serait construite au cours des huit mois de résidence avec l’aide de l’Académie.

 

N.E. : En quoi consiste cette aide ?

J-M.O. : Il y a bien sûr la bourse de résidence, mais aussi la bourse de production, l’organisation de l’exposition, l’édition du catalogue... ensuite le renvoi des œuvres chez leurs auteurs. À mon sens, ce concept n’existait pas encore.

 

N.E. : Que pensez-vous du résultat ?

J-M.O. : J’en suis très heureux. Le projet a été très construit. Nos artistes ont vraiment joué le jeu et nous sommes fiers de présenter une exposition cohérente, autour d’un vrai thème, avec un beau catalogue. Elle est d’ailleurs célébrée par le public qui est venu nombreux. C’est important pour une première résidence, inconnue des réseaux et des médias, et il faut saluer la Monnaie de Paris qui en l’accueillant lui a permis une visibilité plus grande.

 

Dufraine
Vues des ateliers aménagés et mis à disposition des artistes en résidence, ici Halveig Villand en 2023.  Photos Patrick Rimond
Vues des ateliers aménagés et mis à disposition des artistes en résidence, ici Halveig Villand en 2023.  Photos Patrick Rimond

 

N.E. : Quelle sera la suite ?

J-M.O. : Maintenant il faut continuer avec la même énergie, faire en sorte que se crée un réseau, qu’émerge un désir d’aller à la Villa Dufraine. Pour la deuxième année nous avons contacté plus d’universités, ouvert à davantage de collectifs d’artistes.

Notre jury est composé d’académiciens, de correspondants mais aussi de personnes extérieures. L’année dernière il y avait Noëlle Tissier, qui a dirigé le CRAC de Sète durant une vingtaine d’années, et auparavant la résidence de la Villa Saint Clair. Avec ce jury nous choisissons un projet d’exposition plutôt que son commissaire, dont le rôle est de donner de la cohérence au projet, de maintenir le cadre, d’encadrer et de motiver les artistes durant la résidence. D’assurer un suivi, une animation sur place, par quelqu’un de la même génération.

 

N.E. : Cette dimension générationnelle est importante ?

J-M.O. : Dès le départ je souhaitais faire le portrait d’une génération. Ainsi, chaque année, de jeunes artistes viendront à la ville Dufraine. Ils vont nous questionner, nous académiciens, sur les sujets qui leur importent aujourd’hui, nous faire partager leur vision du monde, nous montrer comment naissent les œuvres les plus contemporaines, quels sont les médiums qu’ils utilisent... Lors de la sélection, je leur ai demandé d’être le plus impertinents possible. Nous avons besoin d’une piqûre de jeunesse, pour comprendre à quoi pensent les artistes de demain.

 

N.E. : Qu’avez-vous pu en percevoir ?

J-M.O. :  Dans leur fréquentation comme dans leurs œuvres, se ressent cette angoisse par rapport à la fin du monde, aux choses qui se délitent, à la perte de sens. Leur création à base de matériaux rudimentaires rejoint un peu l’arte povera. Pour eux il n’est pas (encore) question du marché. Ils sont entièrement dans la recherche, leur souci n’est pas de produire des objets finis, bien ficelés. Ils sont à la fois forts et fragiles. En devenir.

Au sein de l’exposition ils ont tous gardé leur personnalité, il y a des mondes qui s’ouvrent mais le thème est assez fort pour les regrouper. Ils présentent leur travail au sein d’une exposition qui fait sens. C’est très important pour eux, et ils en sont conscients. 

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De la résidence à l’exposition

Rencontre avec Lou-Justin Tailhades, scénographe, commissaire de l’exposition « Bonsoir Mémoire », à la Monnaie de Paris
Propos recueillis par Nadine Eghels

 

D’avril à décembre 2023, dix jeunes artistes de disciplines diverses auront séjourné à la Villa Dufraine, réunis par Lou-Justin Tailhades qui a encadré leur travail et assuré le commissariat de l’exposition « Bonsoir Mémoire » présentée à la Monnaie de Paris du 9 novembre au 3 décembre.

 

Nadine Eghels : Vous êtes le commissaire de la première exposition des résidents de la Villa Dufraine à Chars. D’emblée vous avez été associé au projet de résidence. Comment avez-vous conçu cette mission et choisi les résidents pour cette expérience novatrice ? 

Lou-Justin Tailhades : Pour la résidence, j’ai invité huit artistes, de disciplines, de formations, de pratiques et d’horizons divers, j’en connaissais certains et d’autres non, en prospectant dans de nombreuses écoles d’art de France. J’ai intégré une graphiste qui serait en résidence avec nous et j’ai gardé une place vacante pour pouvoir accueillir des personnalités artistiques et nourrir notre recherche.

 

N.E. : Quels principes ont guidé votre travail ?

L-J.T. : J’avais plusieurs exigences assez claires. La première, la parité exacte. Je voulais aussi des artistes qui soient à des niveaux de carrière différents car les quelques années après le diplôme d’art sont très différentes les unes des autres. Enfin, je souhaitais inviter des artistes sur des questions liées au langage sous toutes ses formes, de son origine et de sa circulation.

 

N.E. : Est-ce que le collectif a influencé la création individuelle de chacun, de chacune ?

L-J.T. : Parfois les artistes le formulent, parfois non... mais ils se sont aussi définis les uns par rapport aux autres, c’est sûr ! Soit dans le rapprochement, soit dans l’opposition. Car leurs parcours et leurs regards sur l’art sont très différents.

Qu’est-ce que l’art ? À quoi sert-il ? Quand est-ce qu’on fait de l’art ? Comment on approche l’art, à qui on le montre, etc. Il y a eu des débats houleux. Et j’ai pu pointer dans leur travail des évolutions qui résultaient nettement de ces confrontations. Les invités ont aussi contribué à créer ces discussions.

 

N.E. : Qui étaient les personnalités invitées ?

L-J.T. : Il y a eu un artiste azéri qui les a fait sortir de l’atelier pendant trois jours et travailler chacun sur son projet mais ensemble dans l’espace commun de la salle à manger pour commencer à faire exposition. Il y a eu une curatrice, une spécialiste de la performance, une compositrice qui a créé l’illustration sonore à partir du sous-titre de l’exposition.

 

N.E. : Le sous-titre, quel est-il ?

L-J.T. : C’est une phrase fleuve, constituée de deux alexandrins blancs enchâssés dans un « mais » : Tout ce que je veux par-dessus tout oublier / Mais dont il faut absolument que je me souvienne. C’est une phrase que j’avais écrite juste avant de répondre à l’appel à projet et qui a dû me guider. Elle est très libre et on ne sait pas qui parle : les artistes, les œuvres, le public ou l’exposition ? Toutes ces voix en même temps, sans doute et contenues dans cette première personne du singulier paradoxalement collective. C’est une phrase ouverte, qui s’adresse à tout le monde. Cela était primordial pour moi. J’ai mis cette phrase à l’épreuve, je voulais être sûr qu’elle discute avec le travail des artistes, l’interroge, l’éclaire et dise quelque chose...

 

N.E. : D’où le titre « Bonsoir Mémoire »

L-J.T. : J’ai cherché un ton d’exposition plutôt qu’un sujet ou un thème. Les œuvres des artistes ont toutes un rapport d’attraction ou de répulsion à la mémoire. L’expression « Bonsoir Mémoire » s’est donc imposée car « bonsoir », comme ciao en italien, c’est à la fois un bonjour et un au revoir. C’est dans cette ambiguïté que se jouait l’exposition dont la voix était à la fois porteuse d’espoirs et d’inquiétudes sur notre héritage, nos traditions, nos souvenirs et nos devenirs. 

 

Lors de l’inauguration de l’exposition « Bonsoir Mémoire ».  Photo Patrick Rimond
Lors de l’inauguration de l’exposition « Bonsoir Mémoire », à la Monnaie de Paris, des artistes en résidence en 2023, Brigitte Terziev, membre de la section de sculpture, Emmanuel Pernoud correspondant, Jean-Michel Othoniel, membre de la section de sculpture et directeur de la Villa Dufraine, Lou-Justin Tailhades, commissaire de l’exposition, et Marc Barani, membre de la section d’architecture. Photo Patrick Rimond