L’art vocal, un axe fort de l’expression musicale

Entretien avec Laurence Equilbey, chef d'orchestre, directrice musicale du Chœur de chambre Accentus et de l'ensemble Insula orchestra, correspondante de la section de Composition musicale.

Nadine Eghels : Comment est née et s’est développée votre passion pour le chant choral, quel a été votre parcours dans ce domaine ?

Laurence Equilbey : Ma passion pour la musique est née assez tôt, lorsque j'étais en internat. Elle a été très vite un refuge essentiel. J'ai commencé là le piano, le traverso, le chant en maîtrise. Plus tard, lors de mes études de direction d'orchestre, notamment à Vienne, j'ai eu l'occasion de développer ma technique vocale et de chanter dans l'Arnold Schönberg Chor pour financer mes études. J'ai découvert avec cet ensemble les grandes fresques de Strauss, Schönberg.. C'est ce qui m'a inspirée lorsque je suis rentrée à Paris pour créer le chœur de chambre Accentus. À l'époque ce répertoire n'était pas très connu des chanteurs, et il a fallu beaucoup travailler pour créer une forme de tradition d'exécution. Après avoir interprété le XIXe et XXe siècle, nous avons commandé régulièrement des œuvres à des compositeurs d'aujourd'hui. Parallèlement, un ensemble plus stylé parmi les chanteurs d'Accentus se consacrait à la musique baroque et classique, principalement dans l'oratorio. L'opéra est arrivé ensuite, alors que la technicité d'Accentus avait déjà été éprouvée dans des répertoires très exigeants. Cela a correspondu à une ouverture nécessaire, notamment pour goûter du plaisir de la scène et des œuvres purement lyriques. Le son d'Accentus a été influencé par l'esthétique allemande et scandinave, du fait aussi de mon travail régulier avec le chef suédois Eric Ericson. J'ai vécu également mon enfance en Forêt Noire, ce qui m'a permis d'être familière avec un univers musical profond. À cette palette bien particulière dans sa richesse, s'ajoute le goût français pour la transparence harmonique et les équilibres délicats. Accentus est maintenant mon partenaire de prédilection pour l'oratorio ou l'opéra, notamment avec les orchestres dont je suis proche, l'Orchestre de chambre de Paris, celui de l'Opéra de Rouen Haute Normandie, et Insula orchestra sur instruments d'époque que je viens de fonder.

 

N.E. : Comment le chant choral est-il perçu au sein du monde musical contemporain, cette position est-elle évolutive ?

L.E. : Je crois que ces vingt dernières années en France ont été très riches en matière de composition pour le chœur seul. C'était quelque chose de nouveau lorsque certains chœurs de chambre ont commencé à commander régulièrement des œuvres, et que des compositeurs majeurs se sont intéressés à cet instrument vocal. Les groupes spécialisés du type Groupe vocal de France à l'époque, Musicatreize maintenant, ont développé des répertoires dit à « un par voix ». Ce type d'œuvre a connu un bon développement. En revanche, la musique d'aujourd'hui pour chœur de chambre était rare dans les années 1990. Soudainement en vingt ans, tout a changé. On a vu de nombreux compositeurs écrire des élaborations majeures, notamment pour Accentus, mais aussi pour les Eléments, les Cris de Paris... Au niveau européen, le réseau Tenso, qu'Accentus a créé avec d'autres ensembles, favorise énormément l'émergence de ce répertoire nouveau. En outre, avec le développement du diapason électronique « e-tuner »que j'ai porté, les potentialités techniques du chœur ont été multipliées. Je crois que les compositeurs d'aujourd'hui en France considèrent le chœur avec un réel intérêt, conscients à la fois de ses possibilités expressives et abstraites.

 

N.E. : Comment s’est développé votre travail avec Accentus, et ensuite, quelles orientations avez-vous voulu lui donner, quelles options, quels choix ?

L.E. : Nous avons élaboré une feuille de route de construction du répertoire très précise et rigoureuse. Pour le chœur seul, tout d'abord beaucoup de romantisme allemand et nordique, Schubert, Schumann, Brahms, Mendelssohn, Sibelius... Puis la musique française et anglaise du XXe siècle, et notamment tout Poulenc. Puis les post-romantiques avec Reger, Strauss, les sériels, Schönberg, Webern. Vinrent ensuite les commandes à Dusapin, Manoury, Mantovani, Saariaho…Parallèlement nous avons toujours gardé un contact fort avec Bach et les classiques, Haydn, Mozart. Notre façon de travailler a toujours été proche de la technique chambriste. Nous aimons le détail et la grande forme à la fois.

 

N.E. : Quelles sont vos perspectives à moyen et long terme dans votre pratique ?

L.E. : Nous souhaitons maintenant garder un équilibre entre les différents répertoires, a cappella, oratorio, créations, opéras…des projets avec moi et avec des chefs invités, notamment pour l'a cappella spécifique (certains ouvrages hongrois, tchèques, russes… ) et pour les ouvrages que j'ai beaucoup dirigés et qui méritent un nouvel éclairage pour les chanteurs. Nous aimerions également développer des projets scéniques avec des plasticiens pour des œuvres narratives.

 

N.E. : Comment la pratique du chant choral évolue-t-elle, comment envisagez-vous l’avenir de cette discipline, et pourquoi cette évolution ?

L.E. : Il serait important aujourd'hui de stabiliser 3 ou 4 pôles d'art vocal à travers le pays, qui inscriraient un dispositif précis dans le paysage musical. Chaque pôle réunirait un ensemble professionnel d'environ 40 chanteurs, ayant une activité de production artistique importante, avec un projet pédagogique fort autour de lui, impliquant les étudiants, les scolaires et les amateurs, et participant activement à la recherche et à la création. Nous avons créé cela avec erda/accentus, et j'aimerais que cette entité devienne quasi institutionnelle pour que l'investissement artistique et humain puisse trouver ses prolongements durablement. Nous sommes en train de créer un centre de ressources de toutes nos richesses en partitions et matériels artistiques à l'intention des jeunes chefs. Je crois que nous avons la chance aujourd'hui en France d'avoir une situation artistique beaucoup plus favorable pour la musique chorale. Beaucoup de très bons ensembles ont émergé et portent des projets originaux. Certaines excellentes maîtrises existent désormais. L'éducation vocale a considérablement évolué, dans un très bon sens. Certains mécènes et partenaires publics sont directement responsables de cette embellie. Il faut maintenant soutenir cela, et le structurer, afin que le milieu de l'art vocal bénéficie d'un cadre professionnel à l'instar des orchestres. L'art vocal pourra alors devenir un axe fort de l'expression musicale dans ce pays.

www.accentus.fr

www.insulaorchestra.fr

Le Chœur de chambre Accentus dirigé par Laurence Equilbey, sa fondatrice. Photo Anton Solomoukha
Le Chœur de chambre Accentus dirigé par Laurence Equilbey, sa fondatrice.
Photo Anton Solomoukha