Les rencontres internationales de Lure

Par Christian Bessigneul, professeur émérite, école supérieure Estienne des arts et industries graphiques

LES RENCONTRES INTERNATIONALES

DE LURE

Par Christian Bessigneul, professeur émérite,

école supérieure Estienne des arts et industries graphiques

 
 

De Lure à Lurs

Sous l’un des ciels les plus clairs d’Europe, depuis plus de soixante ans, lors de la dernière semaine d’août, des humains migrateurs se retrouvent sur un rocher, situé aux confins est du Luberon, en bordure de la Durance, au sud du plateau de Ganagobie.

Montagnes, collines, plaines, rivières, vergers d’oliviers en terrasses, champs de melons, parcelles de lavandes, odeurs des pins, l’ampleur et la diversité des perspectives et paysages forment une trame dans laquelle s’inscrit Lurs. Ce village perché aux maisons étroites et hautes s’est installé au milieu de l’éperon rocheux pour rassembler les habitants des plaines lors des invasions ou des guerres de religion. Les traces des rituels sont encore très présentes : chapelles, piliers à oratoires, clocher à peigne, séminaire, prieuré, château des évêques de Sisteron – princes de Lurs (Lus en provençal : lumière, soleil) évoquent des générations de vies conduites en autarcie heureuse.

Lure est le nom de la montagne qui, dans l’axe du mont Ventoux, protège du Nord ce pays au climat méditerranéen. Lure et Lurs sont des mots et des lieux en proximité.

 

Les Rencontres

Les racines des « Rencontres » se trouvent dans l’amitié que se sont portée des personnalités aux multiples facettes, impliquées dans les diverses nuances de l’écriture, l’édition, l’image, le spectacle, la poésie, la pédagogie, l’expression et la communication en général.

Et dans un lieu propice aux échanges : la Haute-Provence, où des rescapés de la Première Guerre mondiale, devenus pacifistes convaincus se retrouvaient, deux fois par an, sur le plateau aride du Contadour, pour discuter des évolutions du monde.

 

Les amis des amis...

Maximilien Vox, frère de Théodore Monod, raconte sa découverte de Lurs alors que le village, sans eau courante, est presque abandonné.

Enthousiaste dans l’instant, il aurait troqué l’âne et la carriole qui les avait conduits au village contre l’une des maisons les moins en ruine pour l’offrir à son épouse...

En faisant étape chez Blaise Cendrars, il y revient en 1952 avec Jean Giono, et Jean Garcia, typographe, enseignant, acteur, qu’il décrit comme un gitan doué pour toutes les formes d’expression. Puis, ils invitent Robert Ranc, directeur de l’école Estienne. Tous quatre sont considérés comme fondateurs de « L’École de Lure ».

Sous le titre « vers d’autres clartés » ou « manifeste de l’An 1 » émise par la « Retraite graphique de Haute Provence », une invitation à rejoindre Vox et ses complices à Lurs est adressée pour l’été 1953 à toutes les connaissances professionnelles et amicales. Les amis des amis, et leurs étudiants éventuels découvriront et se retrouveront fidèlement dans le village. Bientôt nombre d’entre eux achèteront des maisons, et bâtiront même un théâtre de plein air, inspiré de l’antique, afin d’organiser des représentations théâtrales.

En 1957 la forme administrative d’une association selon la loi de 1901 est retenue pour organiser le groupe, l’activité et l’intendance... « Les Compagnons de Lure » forment une entité distincte et autonome.

Une grange vide acquise par Maximilien Vox est sommairement aménagée en salle de conférence puis renommée solennellement « la Chancellerie » ; c’est le lieu où se retrouveront chaque été les professionnels des métiers de l’imprimerie, de plus en plus nombreux, posant des problèmes d’organisation dans le petit village ! Le petit bistrot du père Moulet deviendra en trois générations un vrai restaurant où François Grisolle accueillera la centaine de participants pendant des années.

Les « piliers » des débuts sont Charles Peignot, Gérard Blanchard venu à 18 ans, les Italiens Aldo Novarèse et Cesare Maletto, éditeur, les Belges Michel Olyff du groupe Cobra, Fernand Baudin et De Roeck, l’Anglais John Dreyfus ; l’historien René Ponot, Ladislas Mandel, puis Christian Delorme, Yves Perrousseaux, et bien d’autres...

Tous ceux qui ont eu un rôle dans la création de caractères ou de livres sont passés par Lurs : José Mendoza, Alessandrini, Roger Excoffon, Paul Gabor, Albert Hollenstein, Adrian Frutiger, Marcel Jacno, Massin, Mediavilla, José Mendoza, Albert Plécy, Herman Zapf, Peter Knapp ou bien des éditeurs tels que François Richaudeau, Hubert Nyssen, ou Claude Tchou.

Ils viendront et reviendront évoquer les mutations de leurs activités dans le contexte de l’apparition de la photocomposition et la naissance des médias audiovisuels, rejoints par des créateurs de tous domaines : Alexeïeff, François Cheng, Jean Dieuzaide, Jean Guitton, Ionesco, Henri Laborit, Chris Marker, Georges Mathieu, Janine Niepce, Savignac, Pierre Schaeffer, Vasarely...

Vox et ses amis perçoivent à la fois la permanence de l’expression graphique et la mort de Gutenberg. C’est à Lurs qu’ils mettent au point la classification des caractères nommée Vox-ATypI.

L’Association Typographique Internationale a été créée par Charles Peignot en 1957. Les critères d’évaluation de lisibilité sont formulés et réajustés sans cesse, parallèlement aux débats sur l’évangélisation des robots...

Dès les années 1970, Gérard Blanchard, graphiste, mais surtout remarquable chercheur, fait le constat de la naissance multiforme d’une expression « typo-audio-scripto-visuelle ». Jusqu’à son décès en 1998, ses réflexions et son approche pluridisciplinaire vont accompagner l’évolution de l’association et son ouverture aux nouvelles technologies et pratiques professionnelles. Son enthousiasme et le foisonnement de ses interventions, soutenues par le président Marc Combier, ont marqué une génération de Lursiens. En juillet 1983 l’association adopte son nom actuel « Rencontres internationales de Lure ». La naissance de l’informatique, puis l’ouverture d’internet transforment profondément les métiers de la création graphique.

Sous l’impulsion de Dominique Monod, épouse de Flavien et belle-fille de Vox, réinstallée au village de Lurs, un Chemin des écritures, conçu par Sterenn Heudiard et Thierry Gouttenègre, marque une nouvelle empreinte discrète des Rencontres dans le village.

Ces dernières années ont vu passer Albert Boton, Michel Melot, Hector Obalk, Jean-François Porchez, Etienne Robial, Alice Savoie, Pierre Di Sciullo, Ahn Sang Soo, Summer Stone, Jean Widmer, Catherine Zask, etc.

Un esprit de compagnonnage demeure dans ce lieu où l’on parle « métier », ouvert à toutes les générations, aux étudiants et aux curieux de la chose graphique.

Alors que les pionniers disparaissent dans les années 2000, Peter Knapp revient participer activement et assure le relais avec Evelyn Audureau, Michel Balmont, Henri Mérou et quelques autres. Nicolas Taffin renouvelle l’approche philosophique, ouvre les champs de réflexions et les veilles technologiques. L’Association, toujours composée de bénévoles, met en place des partenariats avec les écoles et institutions enseignant le graphisme et la communication.

Favoriser l’expression directe, partager savoir-faire et idées, restent la base de l’esprit de Lure.

Adeline Goyet, actuellement présidente, secondée par Franck Adebiaye, Marie-Astrid Bailly-Maîtren, Sandra Chamaret, Laure Dubuc, Anne Delfaut, Olivier Nineuil, Patrick Paleta, Jean-Baptiste Levée et bien d’autres apportent une nouvelle dynamique, rajeunie et féminisée.

 

Une session annuelle

Pour les participants, la semaine lursienne est une sorte de Noël d’été, un souffle de renaissance dans une vie professionnelle généralement très solitaire.

Le rituel « coup de bleu » au bout de la promenade des évêques marque les retrouvailles des Lursiens et inaugure le début de la semaine. Elle se clôture, après un programme très soutenu de conférences, par un « coup de blues ».

Sur la terrasse de la Chancellerie de Lurs, le groupe inspire et propose des pistes pour le thème à traiter l’année suivante. Une sorte de semailles de réflexions avant la récolte espérée des confrontations.

 

Pour conclure

Voici donc succinctement évoquées les trois raisons qui motivent les migrateurs de Lure : le paysage, les amis, les thèmes traités...

Au cours de l’année, l’association organise à Paris des rendez-vous, des puces typo, diffuse La lettre, édite la revue Après-Avant, propose des visites, etc. 

Le groupe des participants.
Le groupe des participants.
Stéphane Kossman habille l'escalier du village, en 2004. Photo Rencontres de Lure
Stéphane Kossman habille l'escalier du village, en 2004.
Photo Rencontres de Lure
« La Chancellerie » en 1975 par le graphiste et affichiste belge Lucien De Roeck (1915-2002).
« La Chancellerie » en 1975 par le graphiste et affichiste belge
Lucien De Roeck (1915-2002).

 

Site : delure.org/

Les archives détenues par chacun seront progressivement mises en ligne sur : immaterielles.org/archivesdelure