Patrimoine de l'Académie | La Fondation Claude Monet à Giverny

Par Hugues R. Gall, de la section des Membres libres, directeur de la Fondation Claude Monet

Quand Michel Monet, disparu en 1966, légua à l’Académie des beaux-arts la maison familiale de Giverny, il voulait mettre à l’abri les souvenirs de son père et créer un lieu ouvert aux admirateurs de l’artiste, qui de son vivant déjà, du Japon aux États-Unis, y venaient en pèlerinage...

 

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Claude Monet a toujours été fasciné par les jeux de lumière et les reflets des nuages sur l’eau. L’étang qu'il crée dans la propriété « Le Clos normand » deviendra le « jardin d’eau », aujourd’hui présent sur les cimaises des plus grands musées du monde, notamment par la série des Nymphéas, qu'il commence à peindre en 1897. Photo Élias Agruss

 

Accepter ce don, pour notre Académie, c’était affirmer qu’elle héritait désormais aussi de toute la tradition anti-académique dont Claude Monet, éternel proscrit, était la plus célèbre incarnation. Les bohèmes, les maudits, les révoltés, les révolutionnaires, qui s’étaient si longtemps opposés aux « chers maîtres » du quai de Conti, entraient ainsi dans le cercle formé par les ombres de Poussin, de David ou d’Ingres. Sans doute y avait-il un peu de malice dans les intentions testamentaires de Michel Monet, qui n’avait pas voulu offrir ce patrimoine si précieux à l'administration des musées de France – peut-être parce que les dernières œuvres de son père, si éloignées de la joliesse impressionniste, avec leurs explosions de couleurs pures, leurs audaces non-figuratives, n’auraient pas pu à celle époque trouver leur juste place au Louvre ou au Jeu de Paume. C’était avant l’ouverture du musée d’Orsay, qui changea la donne.

Les peintures du legs Michel Monet furent alors accrochées aux cimaises du musée Marmottan, sous la tutelle de la même Académie, et la maison, inhabitée, qui avait été celle de l’artiste de 1883 à sa mort en 1926, fut d’abord laissée vide. Depuis la mort de Blanche Hoschedé-Monet, belle-fille de Claude, en 1947, elle semblait avoir perdu son âme, et les jardins étaient à l’abandon.

 

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Vue du jardin et de la maison de Claude Monet, « Le Clos normand ». Photo Fondation Claude Monet

 

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Un extraordinaire « autochrome », premiers clichés en couleur sur plaque de verre, représentant Claude Monet devant sa maison en 1921, conservé au Musée d'Orsay, auteur inconnu.

 

Il fallut attendre Gérald Van der Kemp, qui succéda à l’architecte Jacques Carlu en 1977 à cet étrange poste de directeur-conservateur de Giverny, pour que les mécènes s’intéressent au lieu et que la restauration puisse être entamée, avant la réouverture au public en 1980, date de la création de la Fondation Claude Monet. Gérald Van der Kemp, admirablement secondé par sa femme, Florence, elle-même correspondant de l’Académie des beaux-arts, avait appris durant la période où il avait dirigé Versailles comment on restitue de manière scientifique l’état ancien d’une demeure historique, et surtout comment on doit « restaurer » un jardin.

Depuis 2008, j’ai la joie de continuer l’œuvre de Gérald et de Florence Van der Kemp : je me suis attaché plus particulièrement aux intérieurs, évoquant ce qu’ils étaient à l’époque de la famille Monet-Hoschedé. Le public ne cesse de croître, et les 600 000 visiteurs qui chaque année viennent à Giverny sont, pour toutes les équipes qui travaillent ici, la plus grande des récompenses.

 

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Le salon-atelier conservé à l'identique. Photo Élias Agruss

 

Aujourd’hui, Giverny demeure un lieu populaire mais fragile. Les jardiniers, les bénévoles, le personnel administratif, les agents de surveillance et d’accueil qui y travaillent tout au long de l’année sont, je crois, soudés par un amour profond de ce lieu, du village, de la poésie qui se dégage de ce coin de campagne. Travailler avec eux pour ouvrir la Fondation Claude Monet au public dans les meilleures conditions est une tâche très exaltante. Nos jardiniers, poursuivant ce qu’avait recréé Gilbert Vahé au temps de Gérald Van der Kemp, sont tous des esthètes et des savants, qui connaissent aussi bien les musées que la botanique, et nous accueillons tout au long de l’année des amis des jardins venus de partout. Giverny fonctionne aussi comme un laboratoire, de conservation et de création. Se promener sous ces arbres et dans ces allées c’est croiser le souvenir de Georges Clemenceau ou de Sacha Guitry, vivre dans un monde où la connaissance de la nature et l’amour de l’art sont chaque jour une source de bonheur. Ce n’est pas pour autant vivre dans le passé : l’Académie des beaux-arts accueille ici des artistes en résidence, peintres, photographes, écrivains, qui contribuent à la vitalité de ce dialogue engagé par Monet, jusqu’à la fin, avec les jeunes créateurs de son temps.

Il faut donc percevoir aujourd’hui Giverny comme autre chose qu’un décor, un sanctuaire, un « lieu de mémoire » figé : ces lieux façonnés par Monet sont une œuvre d’art essentielle, préservée par miracle et maintenue vivante, indispensable pour comprendre notre modernité.

 

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