Patrimoine de l'Académie | La Fondation Paul Marmottan : entretenir le passé, regarder le futur

Par Patrick de Carolis, de la section des Membres libres, directeur du musée Marmottan Monet

La création de la Fondation Paul Marmottan en 1934 repose sur la volonté d’un homme ayant ouvert la voie à une histoire artistique de plus de quatre-vingt-cinq ans, une histoire faite de confiance et d’engagements.

 

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Photo : la façade ouest du musée Marmottan Monet, rue Louis Boilly, à Paris.

 

Paul Marmottan : historien, collectionneur et philanthrope 

Né le 26 août 1856 à Paris, Paul Marmottan appartient à une famille de grands industriels et d’intellectuels du Nord de la France.

Son père Jules Marmottan, né en 1829 à Valencienne, poursuit des études d’avocat avant de prendre en charge en 1862 la direction de la société houillèrede Bruay qui devient sous son impulsion l’une des premières compagnies minières du Pas-de-Calais. Il sera au cours de sa vie administrateur de plusieurs compagnies françaises d’énergie et de transport.

Jules Marmottan est aussi un amateur d’art et collectionneur. Par l’intermédiaire du marchand d’art lillois Antoine Brasseur, installé à Cologne de 1847 à 1887, il acquiert une quarantaine de peintures de primitifs italiens, flamands et allemands. Figurent parmi les œuvres de sa collection, une rare Descente de Croix de Hans Muelich, une suite de trois tapisseries représentant la Chasse de Sainte Suzanne ainsi que des statuettes de Malines illustrant cette préférence pour l’art de la haute époque et de la Renaissance.

 

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Portrait de Paul Marmottan à son bureau, vers 1899, par Johan Georg Otto von Rosen (1843-1923).

 

Jules Marmottan conservera tout au long de sa vie cet amour de l’art. Lors de son décès le 10 mars 1883 à l’âge de 53 ans, il transmet à son fils unique, Paul, une fortune considérable et un riche patrimoine artistique.

À l’abri du besoin, Paul Marmottan renonce à l’âge de 27 ans à sa carrière de haut fonctionnaire pour se consacrer à l’étude de l’histoire de l’art entre 1789 et 1830.

Dans cet objectif, il se rend notamment en Belgique, en Hollande, en Pologne, en Espagne, en Suisse et en Italie. De ces séjours, il développe sons sens critique et réunit une documentation abondante qu’il utilisera par la suite dans ses nombreuses publications dont L’École Française de peinture (1789-1830) et Le Style Empire. Les recherches de l’historien en France et à l’étranger nourrissent les acquisitions de l’amateur qui entreprend, à la suite de son père, de constituer sa propre collection.

Il s’impose bientôt comme un spécialiste du Consulat et de l’Empire. De par ses nombreux écrits et achats, il contribue à réhabiliter l’art de cette période encore mal connue.

Une de ses demeures, située à Boulogne et acquise en 1921, abrite sa collection de livres dédiés à la période 1799 à 1814 et devient sa bibliothèque. Les peintures, sculptures, le mobilier et les objets d’art rejoignent l’hôtel de la rue Louis Boilly à Paris que son père avait acquis un an avant sa mort. En son sein, Paul Marmottan présente les paysages de Jean Victor Bertin et de Louis Gauffier, des portraits signés Louis Léopold Boilly ainsi que des pièces de l’époque Empire tels que le Lustre aux musiciennes et l’exceptionnelle Pendule géographique en porcelaine de Sèvres.

De la bibliothèque et de l’hôtel particulier de la rue Louis Boilly, Paul Marmottan en fera ses chefs-d’œuvre de toute une vie.

Sans descendance, Paul Marmottan confie, à son décès en 1932, la totalité de son capital à plusieurs institutions comme l’Assistance publique, les musées de Versailles, Carnavalet, Compiègne et autres musées répartis dans l’Hexagone. Il transmet aussi une partie de son héritage à des institutions qui promeuvent l’art français à l’étranger telles la Villa Médicis et la Casa de Velázquez. D’autres legs ont été destinés aux diverses sociétés auxquelles il appartint mais c’est l’Académie des beaux-arts qui en sera le principal bénéficiaire. Cette dernière hérite de la demeure à Boulogne ainsi que de l’hôtel particulier rue Raphaël à Paris. Comptant parmi les joyaux de l’institution, ils sont réunis en une fondation qui porte le nom du donateur.

 

La Bibliothèque Marmottan

C’est par son goût de la recherche et de l’écriture que Paul Marmottan devient collectionneur. La demeure de Boulogne, ancienne folie principalement aménagée par son propriétaire dans un style Empire, est devenue une bibliothèque spécialisée inscrit à l’inventaire des monuments historiques et bénéficiant du label « Maisons des Illustres ». Conçue comme une unité organique, où les livres et leurs décors sont nécessaires l’un à l’autre, la bibliothèque accueille aussi une galerie dites des estampes : le dispositif de présentation, un meuble en bois long de huit mètre et divisé en 14 compartiments, est une véritable invention muséographique de Paul Marmottan. Il contient sa riche collection de gravures. En outre, la documentation unique sur Paris et l’épopée napoléonienne en Italie qu’il parvient à réunir constitue aujourd’hui l’un des fonds mondiaux les plus important sur la période Premier Empire et l’époque napoléonienne.

 

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Le décor style Empire de la Bibliothèque Marmottan, place Denfert Rochereau à Boulogne-Billancourt (92).

 

Étudiée jusqu’en 1968 par Fleuriot de Langle qui établit le premier catalogue du fonds, la Bibliothèque Marmottan est à partir de 1996 gérée conjointement par l’Académie des beaux-arts et la ville de Boulogne. Durant cette période et parallèlement à sa vocation première, elle propose des expositions dossiers ayant principalement pour thème la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Un auditorium est également construit pour accueillir, notamment mais non exclusivement, des concerts complétant l’ouverture du lieu à toutes les formes d’art.

Depuis 2018, la bibliothèque est à nouveau administrée par l’Académie des beaux-arts. Actuellement en travaux, elle rouvrira ses portes prochainement.

 

Le musée Marmottan Monet

C’est aussi dans le respect des volontés de Paul Marmottant que l’Académie des beaux-arts transforme, le 21 juin 1934, l’hôtel particulier de la rue Louis Boilly, ses salons Empire et sa galerie de peinture ancienne, en musée. Les espaces privés sont ainsi réaménagés pour accueillir le public mais les décors sont sauvegardés.

L’aura de l’Académie des beaux-arts suscite rapidement de nouveaux dons et legs. Le musée enrichit ses collections et aborde un nouveau chapitre de son histoire. Dès 1940, le musée s’ouvre à l’impressionnisme. Il doit à Victorine Donop de Monchy Impression soleil levant et la collection impressionniste de son père, le docteur George Bellio.

Michel Monet institue pour sa part le musée Marmottan son légataire universel, faisant de l’établissement l’ayant-droit de Claude Monet et le gardien du premier fonds mondial de l’œuvre de l’artiste. À la mort de Michel en 1966, une centaine d’œuvres du peintre, dont un ensemble sans équivalent de grands Nymphéas, viennent rejoindre les propriétés de la fondation. Avec ce prestigieux héritage, le musée Marmottan entame une nouvelle étape de son histoire et adjoint à son nom celui du chef de file de l’impressionnisme.

 

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Vue des remarquables collections d'œuvres et de meubles anciens dans les salons Empire du musée Marmottan Monet. Photo Musée Marmottan Monet

 

Peu à peu, l’institution s’enrichit et se transforme. La demeure de Paul Marmottan se mue en « maison des collectionneurs ». Plusieurs autres descendants d’artistes suivront en effet l’exemple de Michel Monet. En 1985, Nelly Sergeant-Duhem, la fille adoptive du peintre postimpressionniste Henri Duhem, fait entrer au musée de très nombreuses œuvres, dont En promenade près d’Argenteuil de Monet et Bouquet de fleurs de Paul Gauguin.

Les descendants de Berthe Morisot font preuve d’une générosité comparable. Grâce à la fondation Denis et Annie Rouart et au legs de Thérèse Rouart, le musée abrite la première collection de leur aïeule et des peintures signés Manet, Edgar Degas, Jean-Baptiste Camille Corot...

En moins d’un siècle, le musée double ainsi ses fonds et s’enrichit de nouvelles pièces majeures. Le legs de Daniel Wildenstein, membre de l’Académie des beaux-arts, est à lui seul tout aussi exceptionnel. L’historien offre au musée la collection d’enluminures que son père avait commencé à réunir dès l’âge de seize ans. Trois cent vingt-deux miniatures des écoles française, italienne, flamande et anglaise datant du Moyen Âge et de la Renaissance constituent l’une des premières collections d’enluminures de France.

Depuis Paul Marmottan, ce sont plus de trente amateurs d’art à avoir transmis au musée les œuvres qu’ils chérissaient.

Le musée se fait aussi peu à peu fait le gardien d’épées d’académiciens des beaux-arts. Au nombre de 16, leur présentation sensibilise le public aux liens qui unissent la fondation à l’Académie.

 

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Le vaste espace créé spécialement pour abriter la plus grande collection d’œuvres de Monet au monde, une centaine de chefs-d’œuvre dont l’iconique Impression, soleil levant, et un ensemble unique de Nymphéas et de vues du jardin de Giverny.

 

Les expositions temporaires

Afin de faire vivre ses collections, le musée a engagé depuis 2013 une politique d’expositions qui s’attache à rester en lien constant avec l’histoire des fonds et son identité.

Deux expositions annuelles sont organisées in situ. Elles se définissent autour de trois axes : des expositions dites « de collections » qui rendent hommage aux amateurs partageant la même passion que les fondateurs du musée Marmottan, des expositions scientifiques dédiées à l’impressionnisme, en lien avec les fonds Claude Monet et Berthe Morisot, ainsi que des expositions thématiques et transversales pour faire écho à la richesse et à la diversité des collections permanentes.

La valorisation des collections a aussi impulsé une ouverture à l’art contemporain. Le musée Marmottan Monet invite dorénavant deux fois l’an un artiste de la scène contemporaine à travailler à partir d’une œuvre de la collection. Naît alors de cette rencontre des idées et créations nouvelles donnant suite à une exposition et une publication intitulée « les dialogues inattendus ».

Parallèlement à ces expositions in situ, l’équipe scientifique du musée développe des projets hors-les-murs à l’international réunissant des chefs-d’œuvre des collections. Présentés en Océanie, en Asie, en Amérique du Nord, en Europe, ces grands événements-partenariats rencontrent un public très nombreux et garantissent au musée un rayonnement international considérable.

Cette passion de l’art des amateurs privés et leur générosité ont écrit l’histoire du musée, de la bibliothèque et participé au rayonnement de la Fondation Paul Marmottan. Sous l’égide de l’Académie des beaux-arts, la fondation a su conserver, enrichir et diffuser le fonds de sa bibliothèque et ses collections muséales pour répondre à une double intention : célébrer la mémoire de ses donateurs et mettre à disposition du public la richesse d’un patrimoine commun. En 2018, c’est en moyenne 850 000 visiteurs qui ont découvert les collections du musée Marmottant Monet, à Paris et à l’étranger. La reconnaissance nationale et internationale de l’établissement, largement amplifiée ces dernières années, engage dorénavant la fondation vers de nouveaux enjeux. Un projet d’agrandissement de l’hôtel particulier de la rue Louis Boilly est pensé afin que ses espaces soient à la mesure de ses nombreuses activités. Enfin, la réouverture prochaine de la bibliothèque à Boulogne Billancourt offrira de nouveau l’occasion au public de se saisir de ce patrimoine exceptionnel. Portée par le souffle des académiciens des beaux-arts, la Fondation Paul Marmottan continue son déploiement, elle entretient son passé et regarde vers l’avenir.

 

www.marmottan.fr