Pratiques plastiques et médiation dans la formation en design de mode

Par Catherine Paoletti, philosophe, chercheur associé (UMS 3610 Caphés) à l'École normale supérieure de Paris ; enseignante de pratiques plastiques et médiation à l’Esaa Duperré, et Anne-Marie Septfonds, normalienne, professeur agrégée d’arts appliqués, en charge du cours de Pratiques plastiques et médiation à l’Esaa Duperré.

« On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, et est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’action imaginante. »

Gaston Bachelard, L’Air et les songes

 

À l’occasion de la soirée singulière Versant animal - Versions de l’homme (1), qui s’est tenue au Musée de la Chasse et de la Nature, le 19 novembre dernier, les étudiants du Dsaa Mode et environnement (2) et du Bts Design de mode (option textile, matériaux, surface) de l’Esaa Duperré (3) ont eu l’occasion d’investir un espace pour y faire vivre leurs productions et les introduire à la construction de compétences interprétatives. Finement articulés aux dimensions du sensible, les objets de recherche qui y sont conduits s’actualisent au regard de la mobilité et de la porosité des territoires de création. Faire face au monumental du lieu, s’y inscrire sans renoncer à sa singularité et tisser le fil d’un autre récit, à partir d’un ensemble de productions, mobiles et immobiles, en activant des artefacts ou par le jeu de la scénographie, c’est encore convaincre par la production d’une narration. De Chasses aveugles en Festin nu, d’Augures et haruspices en Seconde nature, de Masques et harnachements en Bêtes de somme, jusqu’à l’échappée d’une Chaise à la Licorne, s’est découvert un parcours d’objets manifestes, parures, accessoires ou images, librement inspirés par un texte de Pascal Quignard, pour inviter à penser le versant animal du devenir-homme (4) : « Il n’y eut pas d’origine de l’homme. [...] Une lente métamorphose simultanée de plusieurs espèces au cours du temps [...] dont l’une d’entre elles, cherchant ses proies à l’instar de toutes les autres, a découvert une orientation effarante dans l’imitation de la prédation des grands carnivores qu’elle épiait parce qu’elle les redoutait. [...]

La chasse devint un mode de vie exclusif : l’animal est le modèle, l’image, le concurrent, l’aliment, le dieu, l’habillement, le calendrier, l’objet du cri, le sujet des rêves, le foyer des fils, le déplacement comme destin, le monde comme trajet. »

L’émergence de moments où les pratiques se développent en proximité avec l’art, les sciences, la littérature, la philosophie, les sciences humaines, est favorisée. Ils permettent en effet d’explorer et de renouveler la complexité des échanges entre techniques anciennes et récentes, savoir-faire artisanal et industriel, systèmes analogiques ou numériques, par leur mise en tension et leur hybridation.

Outre la pensée créative de la technologie et la prospective des matériaux qui ne cessent d’élargir les domaines traditionnels du textile, le champ des pratiques artistiques, porteur de valeurs émancipatrices et novatrices, fait l’objet de toute l’attention des industries qui ont saisi l’intérêt d’y être vigilantes pour asseoir leur image de marque et développer leur légitimité culturelle. Cette dimension joue un rôle primordial dans les formations de l’école Duperré préparant aux métiers de la mode, dont le design textile serait l’amont. Le design de mode est alors à saisir dans sa conception élargie, au-delà de sa stricte fonction instrumentale, comme construction des corps et des représentations propices à la manifestation de nouvelles subjectivités. ■

 

1) Conception pédagogique et direction artistique de Catherine Paoletti et Anne-Marie Septfonds.

2) « Le diplôme supérieur en arts appliqués, conférant le grade de master, s’appuie sur une conception élargie de la notion de projet en interrogeant autant l’objet, le produit, que les processus, les pratiques et les démarches expérimentales de création. »

3) Fondée en 1856, l’école Duperré, école publique d’enseignement supérieur de la Ville de Paris, forme des étudiants aux métiers de la création, en particulier en design de mode et textile, en espace, en graphisme, en scénographie, en costume, et en design culinaire. Elle accueille également des formations aux métiers d’art textile (broderie, tissage et tapisserie) et céramique.

4) Rhétorique spéculative, Paris, Folio Gallimard, 20022 (1995), p. 35-39.

 

 

La forme des Chaperons

« J’ai choisi de travailler à partir de la forme particulière et peu familière du chaperon qui appartient à l’univers de la fauconnerie. Il dégageait une dimension onirique différente de celle des autres objets du musée que je reliais au milieu oriental, j’imaginais les Perses chasser avec leurs faucons. À distance, la technique traditionnelle du crochet et l’ancien usage disparaissaient. C’était intéressant de les redécouvrir actualisés à travers notre perception contemporaine dans des coques thermoformées, à l’usage d’un public qui allait se plonger dans un univers et, quelque part, se transformer – ou pas, en super héros ou en animal du futur. Et la question était de savoir qui était le chasseur et qui était le chassé et, par retournement de la situation, le chaperon devenait animal tandis que ceux qui l’observaient devenaient chasseurs.

Le textile s’est imposé à moi comme une évidence, tant du point de vue expérimental que du point de vue de sa liberté de mouvement et de forme. J’ai compris que le textile infuse tout, et qu’un designer textile développe un regard sur des champs de possibilités multiples dans le design et pas uniquement d’un point de vue fonctionnel. Je perçois mieux aussi combien il n’est pas facile de construire seule : savoir ce qui se fait, qui l’a fait, dans quel contexte et comment se positionner par rapport à ce contexte. Et cette capacité de rebondir en permanence permettant de construire à la fois un discours et une production plastique n’était possible à Duperré que parce qu’il y avait quelqu’un en face pour l’orienter. »

 

Anaïs Maurette de Castro (Bts Design de mode option textile-matériaux-surface à l’Esaa Duperré, étudiante à l’Ensci)

http://duperre.org

Lucie Robin, « Centaure moderne », masques cuir latex et élastiques de caoutchouc. Création pour l'évènement « Versant animal - Versions de l’homme », Musée de la Chasse et de la Nature, 2015. Photo DR
Lucie Robin, « Centaure moderne », masques cuir latex et élastiques de caoutchouc. Création pour l'évènement « Versant animal - Versions de l’homme », Musée de la Chasse et de la Nature, 2015.
Photo DR
Anaïs Maurette de Castro, « Chaperons », coques polystyrène choc thermoformées dont une avec un laminage de pvc iridescent (Wig Korea) crochet de coton teint et plumassé de barbules d’autruches, plumes de paon et fourrure bleue pour le Chaperon bleu ; fourrure d’orylag blanche plumassée de plastique irisé et de plumes blanches pour le Chaperon blanc. Casques audio intégrés. Prise son et mixage en binaural par Louis Deurre sur un texte de l'auteur. Création pour l'évènement « Versant animal - Versions de l’homme », Musée de la Chasse et de la Nature, 2015. Photo DR
Anaïs Maurette de Castro, « Chaperons », coques polystyrène choc thermoformées dont une avec un laminage de pvc iridescent (Wig Korea) crochet de coton teint et plumassé de barbules d’autruches, plumes de paon et fourrure bleue pour le Chaperon bleu ; fourrure d’orylag blanche plumassée de plastique irisé et de plumes blanches pour le Chaperon blanc. Casques audio intégrés. Prise son et mixage en binaural par Louis Deurre sur un texte de l'auteur. Création pour l'évènement « Versant animal - Versions de l’homme », Musée de la Chasse et de la Nature, 2015.
Photo DR