Par Anne Poirier et Patrick Poirier, respectivement membre et correspondant de la section de sculpture de l'Académie des beaux-arts
[article issu de la Lettre de l'Académie n°102, L'artiste foudroyé]

Un œil géant en marbre au fond d’un ravin où coule un torrent, entouré de fragments éparpillés, comme s’il s’agissait des débris d’une statue colossale. Une énorme flèche de bronze vient se ficher dans la pupille. Tout autour, enfoncées dans le sol, des flèches géantes, comme tirées par un archer invisible, ainsi que des foudres lancées par Zeus. Les Géants furent enfantés par Gaia, la Terre, qui poussa ses fils monstrueux à se révolter contre les dieux de l’Olympe. Ils étaient armés de rochers, de pics et de chênes enflammés. Les dieux armés de flèches étaient conduits par Zeus et ses foudres. L’enjeu de ce combat cosmique est monumental car il s’agit d’une lutte entre les forces élémentaires et brutales attribuées aux Géants et les forces supérieures conférées aux dieux, entre conscient et inconscient, entre ordre et chaos, ombre et lumière, pulsion de vie et pulsion de mort. Nous avons réalisé plusieurs épisodes de cette guerre, dont la Mort d’Ephialthès, qui fut tué d’une flèche dans l’œil tirée par Apollon.
On trouve dans les Mémoires d’Hadrien ce passage à propos de la Gigantomachie : « Je trouvais dans ce mythe les théories des philosophes que j’avais faites miennes : chaque homme a éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre les délices du chaos et celles de la stabilité, entre le Titan et l’Olympien ».
C’est aussi le sort de l’artiste, et de son œuvre à travers lui, partagé entre passion et raison, entre liberté et convention, entre folie et sagesse, menacé d’être foudroyé par les dieux, par les hommes ou par le destin.