“Les Cris de Paris” un charivari musical à plusieurs dimensions

Entretien avec Geoffroy Jourdain, fondateur et directeur musical de l'ensemble Les Cris de Paris.

Nadine Eghels : Comment est née votre passion pour le chant choral ?

Geoffroy  Jourdain : À l’adolescence, je suis entré dans un chœur d’enfants à Epinal, plutôt centré sur la musique ancienne, puis dans une classe de clavecin, et ce fut la découverte d’un répertoire qui fait la part belle à la polyphonie vocale. À cette époque j’ai beaucoup écouté la musique de la Renaissance, et baroque, avant d’arriver à Paris et de me familiariser avec un répertoire plus large.

 

N.E. : Comment, de chanteur et instrumentiste, êtes-vous devenu chef de chœur ? 

G.J. : Si je chantais à l’adolescence, je n’ai en fait jamais envisagé de devenir chanteur. Quand je suis arrivé à Paris mon intention était de faire de la musicologie et de la recherche de répertoire, je passais beaucoup de temps en bibliothèque afin de retrouver et de faire connaître des partitions oubliées. Pour faire entendre ces compositions exhumées du passé, j’ai réuni autour de moi d’autres personnes passionnées, chanteurs et instrumentistes, et c’est ainsi que notre groupe s’est formé. Au départ, c’est donc une démarche de recherche appliquée dans le domaine des répertoires anciens qui m’a amené à réunir ces musiciens autour de moi. Après je me suis tourné vers d’autres répertoires, j’ai fait des rencontres, assisté à des répétitions d’ensembles, élargi mon champ de travail.

 

N.E. : Comment est né le chœur Les Cris de Paris ?

G.J. : J’ai commencé par diriger le chœur d’enfants dont j’étais issu, ensuite à la fin des années 1990 j’ai créé l’ensemble professionnel Vivete felici, c’était un ensemble de solistes consacré au répertoire italien du XVIIe siècle, fin Renaissance début baroque. À peu près en même temps, comme je voulais faire du répertoire de chœur, j’ai créé Les Cris de Paris, un ensemble amateur. Peu à peu les choses ont évolué, Les Cris de Paris devenant de plus en plus actifs, les jeunes chanteurs qui en faisaient partie souhaitant aller vers une professionnalisation. Le projet artistique est aussi devenu plus polyvalent, Les Cris de Paris pouvant être à la fois un ensemble de solistes, un chœur et un orchestre, en tout cas un ensemble totalement malléable. C’était plus réaliste que de maintenir la coexistence de deux groupes qui auraient forcément partagé un jour le même projet artistique.

 

N.E. : Dès lors, comment pourriez-vous définir le projet artistique des Cris de Paris ?

G.J. : Je le définirais comme une compagnie plus que comme un chœur. En effet, le chœur de chambre du départ (trente chanteurs) a aujourd’hui des contours de plus en plus élastiques, avec un effectif variable, la présence ou non d’instruments, et perméables à d’autres disciplines, la danse, le théâtre, les arts plastiques…C’est en fonction des projets que le groupe se constitue, en connivence éventuelle avec d’autres pratiques artistiques. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent la plupart des orchestres modernes, en plus ou moins grandes formations, avec ou sans chœur. Les passerelles avec d’autres arts nous rapprochant davantage du spectacle vivant, d’ailleurs dans certaines de nos productions le côté scénique est très important. Nous faisons beaucoup de petites formes, dans le cadre d’actions culturelles ou pédagogiques, mais nous montons aussi des projets lyriques de grande envergure, ou des spectacles plus narratifs, avec une véritable dramaturgie.

 

N.E. : D’où vient le nom Les Cris de Paris ?

G.J. : D’une chanson de Clément Janequin, à l’époque de François 1er. Une sorte de grand charivari basé sur les cris de corporation de métiers qu’on entendait sur les marchés. Et c’est vrai que le projet, tel qu’il a évolué dans sa diversité, finit par ressembler vraiment à son nom ! En fait le projet artistique s’est véritablement inventé avec les gens qui ont rejoint le groupe, l’identité de cet ensemble procède d’une démarche collective.

 

N.E. : Quel est l’effectif moyen du groupe ?

G.J. : Il y a un socle de 24 personnes, mais en fait nous réalisons des projets à 80 personnes ou avec seulement trois chanteuses…tous sont professionnels mais il n’y a pas de permanents sauf dans l’administration deux personnes, et depuis janvier une troisième qui a pu nous rejoindre grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller.

 

N.E. : En quoi le Prix de Chant choral que vous avez obtenu en 2013 vous a-t-il été profitable ?

G.J. : Outre la reconnaissance et la mise en valeur de notre travail, ce Prix de Chant Choral nous a surtout été utile en ce qu’il nous a rapprochés de la Fondation Bettencourt Schueller, qui depuis nous apporte un précieux soutien au niveau du fonctionnement puisque nous envisageons un compagnonnage sur trois ans. Le Prix nous a permis d’exposer à la Fondation notre situation et nos projets de manière suffisamment explicite pour qu’ils aient envie de nous accompagner.

 

N.E. : Quelles sont vos perspectives pour les prochaines années ?

G.J. : Les projets se montent à la faveur des rencontres artistiques et de l’évolution de la structure : nous entrons en résidence à la fois à l’Opéra de Reims et à l’Auditorium Maurice Ravel de Levallois. C’est assez représentatif de l’évolution de notre projet : développer d’une part une activité de concert dans le milieu de la musique baroque, d’autre part des projets lyriques de plus grande envergure dans des conditions optimales. Enfin, Olivier Michel (administrateur des Cris de Paris) et moi-même reprenons la direction de la Péniche Opéra, nous pourrons y concrétiser notre volonté d’expériences diverses et de rapprochements avec d’autres disciplines. Aujourd’hui nous voulons, nous pouvons porter un projet à plusieurs dimensions : théâtre musical, musique baroque, et évidemment toujours musique contemporaine puisque nous sommes un des ensembles qui commandent le plus de musiques nouvelles à des compositeurs.

lescrisdeparis.tumblr.com

L'ensemble Les Cris de Paris au CENTQUATRE dans le cadre du ManiFeste-2012, festival initié par l'Ircam en 2012. © Photo Olivier Michel
L'ensemble Les Cris de Paris au CENTQUATRE dans le cadre du ManiFeste-2012, festival initié par l'Ircam en 2012.
© Photo Olivier Michel
Sur la scène du studio Flagey, à Bruxelles, invités par le Festival de Wallonie / Musiq’3, en 2011. © Photo Olivier Michel
Sur la scène du studio Flagey, à Bruxelles, invités par le Festival de Wallonie / Musiq’3, en 2011.
© Photo Olivier Michel